Un des sujets à propos duquel on me pose beaucoup de questions, autant ici que dans ma vraie vie, concerne des choses comme le Rake, le Wendigo et d’autres légendes de ce style. Honnêtement, je ne peux pas dire que je sais beaucoup de choses sur eux, mais en me basant sur le peu de choses que j’en ai lu, je peux dire que j’ai entendu des histoires qui semblent avoir une lointaine connexion. Vous connaissez le vieil adage qui dit que toute légende est basée sur un fond de vérité, et je suis sûre que c’est vrai, mais comme vous le savez tous, j’essaye de toujours garder un esprit critique. Il le faut, dans ce milieu. C’est un peu comme travailler dans un hôpital, j’imagine. On pourrait passer sa journée à penser au nombre de personnes qui y ont perdu la vie, et au fait qu’il pourrait y avoir des fantômes, ou peu importe le nom que vous leur donnez, un peu partout, mais ça ne vous mène nulle part. Ça rend juste votre job plus difficile. Je pense que beaucoup d’entre nous ressentent la même chose, et c’est probablement pour ça qu’on essaye de travailler comme si de rien n’était. Une fois qu’on devient paranoïaque, on ne peut plus vraiment faire marche arrière, et beaucoup de recrues démissionnent à cause de ça. Il semblerait que mon parc ait un taux élevé de départs parce que les recrues passent leur évaluation et pètent un plomb à propos de tout, et ils n’ont pas l’air de réussir à passer à autre chose ensuite. Il faut apprendre à intérioriser et à se taire.
• J’ai posé quelques questions à K.D à propos de son expérience, parce que je voulais savoir ce qu’elle pensait du Wendigo. Elle n’avait rien de particulier à en dire, à part le fait qu’elle n’avait pas envie de trop y penser, mais elle m’a dit qu’un de ses amis avait vu quelque chose de semblable. J’ai contacté cette personne, H, sur Skype, et il a accepté de parler un peu avec moi. Il est au courant de mon travail ici, et il ne voit pas d’inconvénient à ce que je publie son histoire exactement comme il l’a écrite :
« J’ai grandi en Oregon Central, et il y a une réserve qui s’appelle Warm Springs à environ deux heures de là où je vivais. Je n’en dis pas plus parce que beaucoup de gens de ma région ont des amis là-bas, et une grande partie de la zone appartient à cette tribu. Quand j’étais enfant, on avait l’habitude d’aller y camper. Pas dans la réserve, bien sûr, mais dans cette zone, et j’ai rencontré beaucoup de gamins qui avaient grandi dans le coin. Il y en a un avec qui j’ai fait plus ample connaissance, il s’appelait Nolan, et on a fini par traîner beaucoup ensemble dès que nos deux familles étaient dans la région. Ils ont aussi appris à se connaître, du coup on restait en contact et on se débrouillait pour aller camper aux mêmes périodes. On y restait pour environ deux semaines, ça faisait pas mal de temps passé là-bas. [Je lui ai demandé s’ils étaient en camping-car] Ouais, mon père en avait un, donc bon, je suppose que ce n’était pas vraiment du camping, mais on prenait nos tentes et nos affaires et on montait le tout au-delà du camp la plupart des nuits. Je n’aimais pas beaucoup y dormir, je préférais être dehors. [On a parlé un moment de camping]
Enfin bref, une année Nolan et moi étions là-bas, je crois qu’on devait avoir douze ans, quelque chose comme ça. On voulait sortir et camper près de la rivière parce qu’on voulait essayer de pêcher pendant la nuit, ça devait être à cinq cent mètres du camp principal. Suffisamment loin pour qu’on n’entende ou qu’on ne voie personne, je me rappelle de ça. On a traîné pendant la plus grande partie de la journée, je ne me souviens pas de grand-chose à propos de ça, mais en tout cas au bout d’un moment on s’est retrouvés à faire un feu, et j’étais très impressionné parce qu’il avait son silex ou je ne sais quoi qu’il utilisait pour le faire démarrer. Je n’avais jamais vu personne faire ça avant, alors je trouvais ça plutôt cool. Je lui ai demandé de m’apprendre, et on a fait flamber plusieurs truc, ce qui, en rétrospective, était assez stupide vu qu’on était en plein milieu de l’été, et si je me souviens bien la vigilance incendie devait être jaune ou orange. Mais heureusement, on n’a rien déclenché de grave, et quand la nuit est tombée on était assis autour et on parlait de ce dont les gamins de douze ans parlent, je ne me rappelle plus. Ce dont je me rappelle, c’est qu’à un moment, il a regardé par-dessus mon épaule vers la rivière et m’a demandé si je pouvais voir quelque chose.
Notre camp était fait de telle manière qu’on était à environ trois mètres de la rivière, et on était à son point le plus large, donc il devait y avoir encore six mètres jusqu’à l’autre rive. Il fait chaud par là en été, mais l’eau reste froide, ce qui est important.
J’ai regardé par-dessus mon épaule et j’ai réussi à voir quelque chose entrer dans la rivière en pataugeant de l’autre côté. De là où on était, ça ressemblait à un cerf, mais on ne pouvait pas vraiment être sûrs à cause du feu. Je me suis levé pour voir ça de plus près, et j’ai vu des ramures, alors j’ai pensé que c’était un daim. Mais j’ai trouvé ça bizarre que ça vienne patauger dans l’eau, et il n’y avait aucun doute sur le fait que ça venait vers nous, alors j’ai demandé à Nolan ce qu’il pensait que nous devions faire. Il regardait le feu avec une expression étrange et m’a dit de m’asseoir et de me taire, c’est donc ce que j’ai fait, parce que je ne l’avais jamais vu agir comme ça auparavant. Il m’a murmuré de l’ignorer, et de continuer à discuter comme nous le faisions jusqu’ici, mais je n’arrivais pas à trouver quoi que ce soit à dire. Il était en train de parler d’un épisode d’une série quelconque, mais je pouvais entendre le cerf traverser l’eau, donc je ne faisais pas vraiment attention, et je continuais d’essayer de regarder au-dessus de son épaule, mais à chaque fois que je le faisais, il frappait presque mon bras et me faisait le regarder lui. Je me rappelle que je n’étais pas vraiment effrayé, je ne comprenais juste pas ce qui se passait. Mais ensuite, j’ai entendu le cerf sortir de l’eau, j’ai pu vaguement discerner ce à quoi il ressemblait, et j’ai réalisé que ce n’était pas du tout un cerf car peu importe ce que c’était, ça se tenait sur deux pattes.
J’ai commencé à me lever, je flippais un max, mais Nolan m’a fait rasseoir d’un coup sec en parlant encore plus fort de son émission télévisée, et je voyais bien qu’il avait aussi peur que moi, peut-être même plus. Il s’est penché et a déplacé quelques braises dans le feu avec un bâton, et a murmuré que peu importe ce que je faisais, il ne fallait pas que je parle à cette chose. Je pouvais la voir s’approcher, et elle se tenait juste derrière son dos. Je n’étais pas loin de me pisser dessus, et je pense que je me serais carapaté si j’avais été seul, mais je ne voulais pas abandonner Nolan, alors je suis resté assis calmement, en lançant quelques regards en biais. Ce n’était pas si grand, mais il y avait quelque chose qui n’allait pas avec sa manière de se tenir, comme si son centre de gravité avait été foutu en l’air. J’aurais du mal à le décrire, mais c’était comme si c’était beaucoup trop penché en avant. C’est resté derrière Nolan pendant un bon moment, et il a finit par ne plus rien avoir à dire, alors on est restés assis là sans rien dire pendant quelques instants. Le feu faisait du bruit, mais j’avais l’impression d’entendre cette chose parler à voix très basse. Je n’arrivais pas à entendre ce que ça disait, alors je me suis penché un peu en avant, et je me suis VRAIMENT pissé dessus quand ça s’est aussi penché en avant. Je n’arrivais pas à voir sa tête, mais j’ai vu ses yeux.
Ils étaient troubles et laiteux, si tu veux savoir à quoi ils ressemblent, rappelle-toi cette scène dans le Seigneur des Anneaux où Frodon tombe dans le lac et où les morts flottent vers lui. C’est à ça que ses yeux ressemblaient. Donc tout ce que j’ai vu, c’était ces deux yeux blancs qui flottaient au-dessus de Nolan, et une vague forme de ramures sortant de sa tête. Je ne sais pas quelle tête j’ai fait, mais Nolan et moi nous sommes tirés de là exactement au même moment, et on n’a pas arrêté de courir avant d’atteindre le camp principal. Mon pantalon était plein de pisse, alors je l’ai enlevé pendant qu’on courait et je l’ai balancé dans les buissons. On s’est tous les deux arrêtés quand on a été en face du camping-car de mon père, et rien ne nous poursuivait, alors on est restés là un moment pour reprendre notre souffle. Je lui ai demandé ce que c’était que cette chose, mais il a dit qu’il ne savait pas. Il a dit que son grand-père l’avait simplement prévenu que si quelque chose devait s’approcher de lui alors qu’il était en plein désert, il ne devait jamais, au grand jamais lui parler ou écouter ce que ça pouvait dire. J’ai voulu savoir s’il l’avait aussi entendu parler, et il a dit que la seule chose qu’il avait réussi à comprendre était « vous aider ». Je crois qu’on a finit par aller dormir dans le camping-car avec mes parents, et la nuit suivante nous sommes ressortis et nous n’avons rien vu. »
Ça me rappelle effectivement la légende du Wendigo en de nombreux points. Il y a une phrase utilisée pour le décrire qui passe parfaitement, qui dit que le Wendigo est « l’esprit des endroits déserts ». Je sais que parfois, quand je suis dehors dans la nature et que je sais qu’il n’y a personne à des kilomètres à la ronde, j’ai cette envie bizarre que je ne peux pas vraiment m’expliquer. Je ne sais pas si ça arrive à d’autres, mais c’est le désir de manger quelque chose. Je n’ai pas envie de quelque chose en particulier, c’est plutôt ce genre de faim bizarre qui empêche de se concentrer, et qui vient du plus profond de mes tripes.
Je voulais aussi découvrir davantage au sujet de l’homme sans visage, si je pouvais, et j’ai trouvé quelques choses similaires. J’ai posé des questions dans mon cercle d’amis, et l’un d’eux a dit que quand il était sorti faire des réparations dans son secteur du parc, il avait vu quelque chose de semblable.
• Nous étions allés dîner en ville à cinq en me comptant. Ce gars était en train de repeindre un stand d’information et a entendu un homme lui demander la direction du camping le plus proche. Il ne s’est pas retourné parce qu’il était en haut d’une échelle, mais il a informé l’homme qu’il n’y avait aucun camping à proximité, mais que s’il descendait la route sur environ six kilomètres, il en trouverait dans un autre parc. Il a demandé s’il pouvait lui rendre un autre service, mais l’homme a dit non et l’a remercié. Mon ami a dit qu’il a continué de peindre, mais qu’il écoutait et qu’il n’a jamais entendu l’homme partir.
« À la seconde où il s’est approché et m’a parlé, j’ai senti mes cheveux se dresser sur ma nuque, mais je ne savais pas bien pourquoi. Tout ça me donnait juste une sensation désagréable, et je voulais juste terminer de peindre et prendre mes cliques et mes claques. J’ai pensé que c’était sûrement parce que je ne pouvais pas me retourner pour le voir, mais il y avait quelque chose qui clochait. Il y avait aussi une odeur bizarre qui flottait, même avant que cet homme me parle, comme une odeur de sang de menstruation pas frais. J’avais jeté un œil autour pour voir d’où ça venait, mais je n’avais rien trouvé. Alors j’ai attendu que l’homme s’éloigne, mais je ne l’ai pas entendu s’en aller, ce qui m’a fait penser qu’il était juste resté là à me regarder, je lui ai donc demandé une nouvelle fois si je pouvais faire quelque chose pour lui, et il ne m’a pas répondu. Mais je savais qu’il était là, parce que je ne l’avais pas entendu partir, alors je me suis débrouillé pour me retourner sur l’échelle pour regarder ce qu’il était en train de faire. Bon, j’admets que ça peut très bien être mon cerveau qui m’a joué un tour, mais je te jure, Russ, pendant une fraction de seconde, alors que je me retournais, ce salopard n’avait pas de visage. Comme s’il en était dépourvu. C’était presque concave, et totalement lisse, et j’ai failli faire un infarctus parce que je ne pouvais pas admettre ce que je voyais. Je crois que j’ai commencé à dire quelque chose, mais il y a eu un genre de « pop » dans ma tête, et tout d’un coup c’était juste un mec normal. J’ai dû faire une tête bizarre, parce qu’il m’a demandé si ça allait, et j’ai juste dit « ouais, tout va bien ».
Il a reposé sa question à propos du camping et j’ai pointé du doigt la direction à prendre, et il m’a sorti « Je ne suis pas de la région, vous pourriez m’aider à y aller ? » C’est le moment où je comprends qu’il y a vraiment quelque chose qui ne va pas, parce que c’est impossible que ce gars arrive jusqu’ici sans savoir où il est. Et puis il n’y avait aucune voiture, alors comment il avait fait pour venir ? Je lui ai dit que j’étais désolé, mais que je ne pouvais l’emmener nulle part dans un véhicule de la compagnie, et il me répond « S’il-vous-plaît ? Je n’ai vraiment aucune idée d’où je suis, pouvez-vous venir avec moi et m’aider à aller là-bas ? » J’ai commencé à vraiment me méfier, et à me demander si ce ne serait pas une embuscade ou un truc du genre. Je lui ai dit que je pouvais appeler un taxi pour qu’on vienne le récupérer et qu’on l’amène là où il veut aller, j’ai sorti mon téléphone et il répond tout de suite « non » et s’est éloigné rapidement. Mais il ne part pas dans la direction de la sortie du parc, ce mec retourne en direction des arbres ! Je suis allé directement dans mon camion et je me suis tiré, au diable la peinture et toute cette merde. J’ai regardé dans mon rétroviseur pour voir où il était alors que je m’en allais, et il était de nouveau à la lisière des arbres, je ne sais pas comment il a fait pour y arriver si vite, mais cette fois j’étais sûr que cet enfoiré n’avait pas de visage. Il m’a simplement regardé m’éloigner, et juste avant que je prenne le virage il a fait un grand pas en arrière vers la forêt et s’est comme évaporé. Peut-être qu’il faisait si sombre qu’il s’est camouflé dedans, mais il a vraiment eu l’air de se dissoudre dans l’air. »
• De manière intéressante, dès la fin de l’histoire de ce gars, quelqu’un en a commencé une autre, mais avec une fin assez différente.
« Vous savez, il m’est arrivé quelque chose d’à peu près aussi bizarre il y a un moment. J’étais parti en reconnaissance pour une piste, et j’étais au milieu de nulle part à me demander par où est-ce qu’on pourrait la faire passer. Je n’avais plus croisé personne depuis environ deux heures, donc je ne faisais plus vraiment attention à où j’allais, je regardais surtout au sol la plupart du temps. Et puis là, j’ai atteint le sommet d’une colline et je suis presque rentré dans un gars. Il était plus vieux, probablement la soixantaine, et j’ai commencé à m’excuser d’avoir failli lui rentrer dedans. Et j’ai remarqué son visage, et j’ai sûrement eu l’air d’un con, parce que je me suis arrêté et l’ai simplement observé. J’ai mis un moment à comprendre ce qui n’allait pas, mais le visage de ce gars était énorme. Je sais que c’est bizarre dit comme ça, mais je ne peux pas le décrire autrement. Sa tête n’était pas trop grosse ou quoi que ce soit, elle était normale, mais la surface que prenait son visage était beaucoup trop grande. Comme si vous preniez le visage de quelqu’un et que vous zoomiez pour le voir deux fois plus grand. Il n’a rien dit, il m’a juste regardé, et j’ai reculé en bégayant que j’étais désolé, je l’ai contourné et j’ai détalé pour continuer à faire ce que j’avais à faire. Pendant tout ce temps, je n’ai pas arrêté de regarder derrière moi parce que je flippais qu’il apparaisse derrière moi ou quelque chose du genre. Je sais que ça a l’air ridicule, mais je vous jure que c’est un des trucs les plus glauques que j’ai jamais vus. »
• Un peu plus tard, j’ai amené la conversation aux escaliers, et il y a eu une chute totale d’enthousiasme. Au début, personne n’a rien dit. Il y a un vrai tabou sur eux, même quand on ne travaille pas. Mais j’ai brisé la glace avec une de mes propres histoires, et le gars de l’histoire avec l’homme sans visage nous a raconté celle-ci, quoiqu’il ne parlait pas très fort.
« Il y a quelques années, j’étais parti faire du camping avec ma copine, et on était à environ trois kilomètres de la route à un site que je connaissais. On est allés se coucher cette nuit, mais on ne pouvait pas dormir parce que… »
Quelqu’un l’a interrompu avec une blague, et on a bien failli partir sur un autre sujet, mais j’ai réussi à recentrer la conversation.
« Ouais, c’est super drôle, pauvre con. Non, c’était parce qu’on n’arrêtait pas d’entendre un genre de grincement. Mon frère grinçait des dents dans son sommeil, et c’était à ça que ça me faisait penser. Ma copine avait la trouille, mais je lui disais de ne pas faire attention car j’avais déjà entendu ça auparavant, et il faut simplement l’ignorer. Ça finit par s’en aller, vous savez bien de quoi je parle. »
On savait en effet de quoi il s’agissait.
« Au bout d’un moment, j’ai réussi à la faire dormir, mais je me suis réveillé deux heures après parce que quelque chose n’allait pas. Je me suis retourné et elle n’était plus là, et j’ai bien balisé, parce que… »
Il a réfléchi quelques secondes et a pris une très longue gorgée.
« Enfin bref, je me suis précipité hors de la tente en criant son nom, mais je n’ai pas eu besoin d’aller très loin. Elle se tenait à l’extrémité du camp en regardant quelque chose dans les arbres, et j’ai vu qu’elle était très pâle. Le feu était en train de mourir, mais il faisait encore assez de lumière pour la voir. En tout cas, j’ai couru jusqu’à elle pour voir ce qui se passait, et elle était profondément endormie, sauf que ses yeux étaient ouverts. Elle avait l’air de quelqu’un de défoncé, vous voyez le genre. Alors j’ai passé mon bras autour d’elle pour la ramener, mais elle ne voulait pas bouger. Elle a juste dit quelque chose tout bas, du genre « Je dois y aller maintenant, Eddie. Je dois y aller, c’est là. » Je lui fais « Tu fais une crise de somnambulisme, viens te recoucher », mais pas moyen de la faire bouger. Elle restait au même endroit en disant qu’elle devait partir. Alors j’ai regardé là où elle regardait, et il y avait un putain d’escalier à une douzaine de mètres de nous. Des escaliers gris, en béton. Et elle a commencé à marcher vers eux, mais je l’ai tirée en arrière d’un coup sec, et ça l’a réveillée. Elle m’a regardé comme si j’avais perdu la tête, et m’a demandé ce qu’elle foutait hors de la tente. Je ne lui ai rien dit, à part qu’elle avait fait une crise de somnambulisme. Le grincement était parti, donc elle est juste rentrée dans la tente avec moi et s’est rendormie. Je ne sais pas… Je n’aime pas trop penser à ça, vous savez ? »
On le savait tous. Quelqu’un a amené une autre histoire.
• « Vous vous rappelez, les gars, ce gosse avec… je ne sais plus ce que c’était, un genre de maladie mentale, pas de l’autisme mais quelque chose du genre. Eh bien, j’ai lu la transcription du rapport qu’il a fait quand on l’a retrouvé une semaine après sa disparition, et c’était vraiment un truc de barge. Enfin, il faut garder un esprit critique, parce que qui sait ce que ce gamin croit être réel, mais il y a une partie de tout ça dont je doute qu’il l’ait inventé. Déjà, il a parlé des escaliers. Il a dit qu’il a regardé son père faire un feu et que les escaliers sont « venus à lui », et qu’il devait y monter, car sinon quelque chose de terrible allait arriver. Les flics n’ont pas vraiment compris ce qu’il a dit après, parce qu’il n’arrêtait pas de répéter « comme le feu de camp ». Et il n’a pas cessé de mentionner des sons, mais il n’arrivait pas à dire quels sons, simplement que c’était très fort et qu’il devait se couvrir les oreilles pour ne pas les entendre. Mais ce dont je me rappelle le mieux, c’est qu’ils lui ont demandé où est-ce qu’il était allé, et il a simplement dit qu’il était resté là. Il se pointait lui-même du doigt, et ils ont dit qu’ils pensaient que ça voulait dire qu’il croyait ne jamais être parti. Il a dit qu’il n’avait pas eu peur parce que les escaliers étaient là, et qu’ils lui avaient parlé, mais pas comme les gens parlent. Comme je l’ai dit, c’était vraiment tordu et difficile à comprendre, et je pense que les flics n’en ont transcrit qu’une petite partie. Ils ont fini par dire que le gosse avait une sorte d’amnésie, et que la piste criminelle était peu probable. Ça n’explique pas vraiment pourquoi il est revenu une semaine plus tard en allant parfaitement bien, sans la moindre saleté sur lui et le ventre plein, mais bon, ce que disent les flics suffit. »
Il y a encore beaucoup de questions auxquelles je souhaiterais apporter des réponses. Je vais continuer à poser des questions dans mon entourage et trouver ce que je peux. La prochaine mise à jour devrait arriver bientôt, merci d’être aussi patients. Vous pouvez aussi me retrouver sur Tumblr : searchandrescuewoods.tumblr.com
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Search and Rescue (6)
Ça fait bien trop longtemps depuis mon dernier message, et j’en suis vraiment désolée. J’ai aussi eu un peu de mal avec les nouveaux paramètres de formatage de texte sur la board, mais je m’en suis sortie. Les prochaines histoires vont donc être postées d’une manière un peu différente ! Elles seront dans l’ordre chronologique, et je ferai le maximum pour les enchaîner autant que je peux pour éviter d’omettre trop d’éléments.
• Quand j’ai commencé à travailler, personne ne m’avait parlé du job en termes de choses bizarres qui pourraient arriver. Je suppose que c’est principalement pour éviter que je ne flippe et abandonne le parc. Mais après quelques mois dans mon service, alors que j’étais toujours une bleue, un ami et moi étions saouls à une fête, et il a laissé filtrer quelques infos :
« Ouais, ça peut devenir un peu dingue ici, je suppose. Je crois que le pire, c’est quand les gens meurent alors que ça ne devrait pas être possible, tu vois ce que je veux dire ? Ou alors quand on les trouve mort dix minutes à peine après que quelqu’un nous dise les avoir vu pour la dernière fois. « Ils allaient bien quand je les ai fait prendre cette route, je vous le jure ! » Ce genre de conneries. Genre, regarde ce gars que j’ai retrouvé un printemps sur une piste très populaire. Quelqu’un arrive dans la base en hurlant à propos d’un mec étendu au milieu du chemin dans une mare de sang géante. Alors on y accourt, et on le trouve bel et bien mort. Et c’est bien ce qu’il est censé être, vu que l’arrière de son crâne ressemble à de la purée. Le crâne est réduit en miettes, la cervelle en sort comme d’un gâteau fourré à la crème, et le gars est âgé, donc on se dit que ouais, il est probablement tombé et s’est cogné la tête. Les personnes âgées tombent tout le temps, ce n’est pas nouveau. Sauf que la zone où il est tombé n’a PAS le moindre gros rocher. Il n’y a même pas de souche ou de grosse branche. Et pour couronner le tout, il n’y a pas de traînée de sang, donc il est forcément mort là où on l’a trouvé.
C’est là que tu commences à imaginer un meurtre, mais il y avait des gens avec lui à peine plus loin. Si quelqu’un s’était approché par derrière et l’avait assassiné, ça aurait été totalement impossible qu’on ne l’entende pas. Et encore une fois, même si ça avait été le cas, il y aurait eu une traînée de sang répandue tout autour. Mais tout le monde sur place a dit que ça avait été exactement comme s’il était tombé et s’était fendu le crâne sur une pierre. Alors, putain, sur quoi il s’est frappé la tête ?
Et puis il y a cette femme que j’ai trouvée dans un autre parc il y a environ cinq ans, à l’époque où j’étais dans le nord. On l’a trouvée au milieu d’un bosquet de gros genévriers, enroulée autour du tronc, comme si elle lui faisait un câlin. On l’attrape pour la bouger, et une vraie cascade sort de sa bouche en trempant mes pompes. Ses vêtements sont secs, ses cheveux sont secs, mais la quantité d’eau qu’on a trouvée dans ses poumons et son estomac était phénoménale. C’était complètement irréel, sérieux. L’analyse du médecin légiste ? Ça dit que la cause de la mort était la noyade. Ses poumons étaient complètement remplis d’eau. Ça, même si on était en plein milieu du désert, et il n’y a pas le moindre point d’eau sur plusieurs kilomètres. Pas de flaque d’eau, que dalle. Pas de trace de qui que soit d’autre à cet endroit. Je veux dire, ouais, c’est possible qu’on les ait butés. Mais pourquoi sortir des sentiers battus à ce point et le faire comme ça ? Pourquoi ne pas simplement les poignarder et basta ? Je n’en ai aucune idée, ça me perturbe juste. »
Bien sûr, ça m’a fait un peu flipper. Mais on était complètement ivres, et je pense que je l’ai juste considéré comme un hasard extraordinaire. Je me suis aussi dit qu’il y avait un peu d’exagération là-dedans, vu que, voilà, on était bourrés.
Ensuite, je dois dire que je n’aime pas trop parler de l’affaire suivante. C’en était une vraiment horrible, et j’ai fait de mon mieux pour l’oublier, mais c’est bien sûr plus facile à dire qu’à faire. C’est arrivé environ six mois après ma conversation avec mon ami au bar, et jusqu’à cette époque il ne m’était rien arrivé de particulièrement étrange. Deux ou trois trucs par-ci par-là, et bien sûr les escaliers, mais c’est incroyablement facile de s’habituer à ce genre de choses quand on les traite comme si c’était normal. Ce cas-là était un peu différent.
• Un gars d’une vingtaine d’année, atteint de trisomie 21, a disparu après que sa famille a perdu sa trace sur une des pistes principales. C’était déjà bizarre en soi, parce que ce garçon ne quittait jamais sa mère d’une semelle. Elle était totalement convaincue qu’il avait été kidnappé, et malheureusement un ranger qui ne fait plus partie du parc a insinué que personne ne risquait de kidnapper qui que ce soit… eh bien, avec ce genre de handicap. Ça manquait de tact, c’est le moins qu’on puisse dire. On a perdu beaucoup de temps à essayer de la calmer suffisamment pour obtenir des informations sur lui, et ensuite on a lancé un avis de recherche officiel. À cause de la gravité de la situation, étant donné qu’il était incapable de se débrouiller tout seul, on a fait appel à la police locale pour nous apporter de l’aide. On ne l’a pas retrouvé la première nuit, ce qui était vraiment affligeant. Aucun d’entre nous ne voulait l’imaginer seul, dehors. On s’est dit qu’il avait continué à se promener, et qu’il avait juste un peu d’avance sur nous.
On a fait venir les hélicos le jour suivant, et ils l’ont retrouvé dans un petit canyon. J’ai aidé à l’en sortir, mais il était mal en point, et je pense qu’on savait tous qu’il n’allait pas s’en sortir. Il était tombé et s’était brisé la colonne vertébrale, et ne pouvait plus sentir le bas de son corps. Il s’était aussi cassé ses deux jambes, une au niveau du fémur, et il avait perdu beaucoup de sang. Il avait été désorienté et terrorisé alors qu’il était dehors, il avait donc probablement aggravé ses blessures en se traînant un peu plus loin.
Je sais que ça paraît stupide, mais alors que nous étions dans l’hélico, je lui ai demandé pourquoi il s’était éloigné. Je voulais simplement quelque chose à dire à sa mère, pour pouvoir lui dire que ce n’était pas sa faute, parce qu’il perdait pied avec la réalité à une vitesse alarmante, et je ne pensais pas qu’elle aurait l’occasion de lui poser la question elle-même. Il pleurait et a dit quelque chose à propos du « petit garçon triste » qui voulait qu’il vienne jouer avec lui. Il a dit que le petit garçon voulait « faire un échange » pour qu’il puisse « rentrer chez lui. » Il a ensuite fermé les yeux, et lorsqu’il les a rouverts, il était dans le canyon. Je ne suis pas sûre que ce soit exactement ce qu’il a dit, mais c’est ce que je pensais être l’idée générale. Il continuait de pleurer, demandant où était sa maman, et je tenais sa main en essayant de le faire garder son calme. « Il faisait froid là-bas. » Il n’arrêtait pas de dire ça. « Il faisait froid là-bas. Mes jambes étaient gelées. Il faisait froid là-bas. Il fait froid à l’intérieur de moi. »
Il s’affaiblissait de plus en plus, alors je lui ai demandé d’arrêter de parler, et il a fermé ses yeux pendant un moment. Ensuite, alors qu’il ne restait plus que cinq minutes jusqu’à l’hôpital, il m’a regardée droit dans les yeux, avec de grosses larmes qui roulaient sur ses joues, et a dit « Maman ne me verra plus. J’aime ma maman, je souhaiterais qu’elle soit là. » Et il a fermé les yeux et… il ne s’est juste jamais réveillé. C’était horrible, et je n’aime pas parler de ça. Ce cas est un des premiers qui m’ont réellement choquée.
Ça m’a tellement affectée que j’ai pris contact avec un ranger expérimenté, qui s’est retrouvé à m’aider à m’en remettre. Comme le temps passait et qu’on a appris à mieux se connaître, il a fini par me partager une de ses propres histoires. C’était perturbant, mais ça m’aidait de savoir que je n’étais pas la seule qui était affectée par les évènements qui se produisaient.
« Je pense que ça s’est produit avant que tu n’arrives ici, parce que je suis sûr que si tu avais été là, tu t’en rappellerais. Je sais que, pour une raison ou pour une autre, ça n’a pas été raconté aux infos, mais je pense que tous ceux qui sont là depuis suffisamment longtemps en ont entendu parler. Le parc a vendu une portion de terrain à une entreprise d’abattage, ça avait vraiment été une décision controversée. Mais cette parcelle n’était pas si grande ou ancienne, et c’était juste après la récession, alors on avait terriblement besoin d’argent.
En tout cas, ils étaient en train de couper les arbres sur cette parcelle, et on a reçu un coup de fil comme quoi ils avaient besoin de voir nos responsables immédiatement. Je ne sais pas pourquoi, mais au final ils m’ont envoyé avec quelques autres gars pour accompagner les chefs, je suppose pour l’effet du nombre, pour voir ce qui se passait. On arrive là-bas, et ils sont tous rassemblés autour d’un arbre qu’ils viennent juste d’abattre. Ils sont tous furieux et un peu en train de flipper, et le contremaître vient nous voir et dit qu’il veut savoir ce qu’on croit qu’on est en train de faire. « Qu’est-ce que vous croyez que c’est, bordel, une putain de blague ? Vous en avez une sacrée paire de faire ça, on a acheté ce terrain honnêtement ! »
Évidemment, on ne sait pas de quoi il parle, alors il nous amène jusqu’à cet arbre et le pointe du doigt et nous dit que quand ils l’ont coupé, tout était exactement comme ça, et que le diable les emporte si c’était eux qui l’avaient mis à l’intérieur. L’intérieur de l’arbre était tout moisi et creux à un endroit, et quand ils l’ont coupé ça a révélé ce petit compartiment, et à l’intérieur il y a une main. Genre, une main tranchée nettement. Et on dirait qu’elle a fusionné avec l’intérieur de l’arbre. Alors à ce moment on pense que c’est EUX qui sont en train de se payer notre tête, et on leur dit qu’on n’aime pas trop se faire arnaquer comme ça, et on commence à s’en aller, mais ils nous disent qu’ils ont déjà appelé les flics, et qu’ils iront directement voir les médias si on ne reste pas. Ça a retenu l’attention des chefs, alors ils restent et ils parlent à la police.
Tout le monde dément avoir mis la main dans le tronc, et en plus, comment est-ce que qui que ce soit ce serait débrouillé ? C’est clairement une vraie main, mais elle n’est pas momifiée, et ce n’est pas juste les os. Elle est toute fraîche, elle n’est probablement même pas vieille d’un jour. Et elle fait bien partie du tronc, on peut voir qu’elle en sort. Les bûcherons insistent qu’ils ne l’ont pas mise là. D’une manière ou d’une autre, cette main humaine s’est retrouvée à l’intérieur de cet arbre vivant et a fusionné avec. Les flics ont fait couper cette portion de l’arbre pour pouvoir la déplacer. Puis ils ont embarqué la main et la zone a été bouclée. Il y a eu une grosse enquête, mais je sais qu’ils n’ont rien trouvé. Maintenant c’est devenu une légende, et de ce que je sais, on n’a plus jamais vendu aucune portion de terrain pour l’abattage. »
•Comme vous le savez, je suis allé à un stage de formation récemment, et j’y ai entendu des trucs incroyables et horribles. Un des gars à qui j’ai parlé quand j’étais là-bas m’a raconté une histoire quand nous étions tous autour du feu de camp un soir. On était tous les deux pas mal ivres, vous allez finir par penser que c’est une habitude, et on s’est échangé des histoires. Il m’a raconté celle-ci :
« Un autre mec et moi étions sur le terrain parce que des campeurs avaient rapporté avoir entendu des hurlements pendant la nuit. Alors on va là-bas pour chercher le putain de puma qui se serait aventuré dans la zone, et ça m’énerve. On en a eu trois qui se sont pointés dans les zones de camping seulement cette année, et j’en ai marre de devoir en permanence m’en occuper. En plus, je ne les aime pas de toute façon. Ils sont hyper casse-couilles et ils sont hyper bruyants et ils me font grave flipper. Saloperies de chats. Bestioles de merde. Je râle contre eux et me plains au gars qui est avec moi, et il pense qu’il doit vraiment y avoir une meute.
Et on voit plein de banches cassées et ce qui ressemble à des tanières, et on est quasiment sûrs de là où la bestiole est allée. J’appelle et ils me demandent de confirmer si possible, et tu sais que ça veut dire qu’ils veulent que tu marches dans un tas de merde et que tu te serves de ça comme preuve. Cela dit, je n’en vois pas un seul, alors je leur dis d’aller se faire voir et que j’en ai fini avec ça. On sait que ce truc est dans les parages, quelque part, même si je ne mets pas le pied dans ses déjections ou que je ne tombe pas face à sa gueule, ou je ne sais quoi. Le mec avec qui je suis s’éloigne pour aller pisser ou faire ce qui lui chante, et je reste derrière à observer ce petit tunnel sous un arbre pour voir si, peut-être, un renard ou autre chose ne vivrait pas dedans, parce que je kiffe les renards. Ils sont méga adorables.
En tout cas, je regarde cet arbre et je commence à entendre les branches craquer, et ça vient de l’opposé de la direction dans laquelle est allé mon partenaire. Alors bien sûr j’ai mon flingue, mais toi comme moi savons que ça ne va rien faire face à un de ces félins. Je le charge et je gueule à mon pote de ramener son cul, mais il est trop loin et ne peut pas m’entendre. Je me lève et regarde vers l’endroit d’où la chose vient, et je ne te raconte pas de conneries, je me suis presque pissé dessus. Il y a ce gars qui vient vers moi, et il se déplace en faisant des sauts périlleux en arrière entre les arbres. Genre, au lieu de marcher, il ne fait que ces putains de sauts périlleux de taré, et je jure devant Dieu qu’il a évité toutes les souches et les buissons sur son chemin, c’est comme s’il savait exactement où il mettait les pieds. Je crie à ce gars de s’arrêter là où il est, que je pointe un flingue dans sa direction, mais il continue à s’approcher, et je n’ai pas pu m’en empêcher. J’ai tiré dans la terre devant lui, et c’était complètement débile de faire ça, mais sérieux, je ne voulais pas ce gars où que ce soit à proximité de moi.
Quand j’ai tiré, il était à moins d’une cinquantaine de mètres de moi, et au moment où le coup part, il fait un tour sur lui-même et repart dans l’autre sens, en faisant des sauts périlleux vers les bois. Mon partenaire entend mon tir et revient à la hâte, il me demande ce qui se passe, et je lui dis qu’il y a un malade mental dans le coin qui saute partout sur Dieu sait quoi, et qu’il faut qu’on se tire d’ici. Je raconte toute l’histoire aux flics, et je n’ai pas eu d’emmerde pour avoir tiré, mais sérieux, je ne sais pas sur quoi était monté ce taré, mais je n’ai jamais rien vu de ce genre avant. Cette histoire était complètement ouf. »
Je pense qu’on peut tous s’accorder à dire qu’il y a des choses qui se passent dans les bois, et bien que je ne compte pas avancer d’histoire farfelue là-dessus ou imaginer une quelconque théorie, ce que je veux que les gens retiennent de tout ça, c’est qu’il est extrêmement important de rester en sécurité quand vous vous y promenez. Je sais que beaucoup d’entre vous pensent que vous êtes invincibles, mais le fait est que vous POUVEZ mourir là-dedans, ou être blessé, ou disparaître. C’est bien plus facile que ce que vous croyez.
Je m’excuse pour ce message relativement court, je vais faire de mon mieux pour continuer cette série aussi vite que possible. Merci à tous de continuer à me soutenir, vous ne savez pas à quel point ça me touche !
• Quand j’ai commencé à travailler, personne ne m’avait parlé du job en termes de choses bizarres qui pourraient arriver. Je suppose que c’est principalement pour éviter que je ne flippe et abandonne le parc. Mais après quelques mois dans mon service, alors que j’étais toujours une bleue, un ami et moi étions saouls à une fête, et il a laissé filtrer quelques infos :
« Ouais, ça peut devenir un peu dingue ici, je suppose. Je crois que le pire, c’est quand les gens meurent alors que ça ne devrait pas être possible, tu vois ce que je veux dire ? Ou alors quand on les trouve mort dix minutes à peine après que quelqu’un nous dise les avoir vu pour la dernière fois. « Ils allaient bien quand je les ai fait prendre cette route, je vous le jure ! » Ce genre de conneries. Genre, regarde ce gars que j’ai retrouvé un printemps sur une piste très populaire. Quelqu’un arrive dans la base en hurlant à propos d’un mec étendu au milieu du chemin dans une mare de sang géante. Alors on y accourt, et on le trouve bel et bien mort. Et c’est bien ce qu’il est censé être, vu que l’arrière de son crâne ressemble à de la purée. Le crâne est réduit en miettes, la cervelle en sort comme d’un gâteau fourré à la crème, et le gars est âgé, donc on se dit que ouais, il est probablement tombé et s’est cogné la tête. Les personnes âgées tombent tout le temps, ce n’est pas nouveau. Sauf que la zone où il est tombé n’a PAS le moindre gros rocher. Il n’y a même pas de souche ou de grosse branche. Et pour couronner le tout, il n’y a pas de traînée de sang, donc il est forcément mort là où on l’a trouvé.
C’est là que tu commences à imaginer un meurtre, mais il y avait des gens avec lui à peine plus loin. Si quelqu’un s’était approché par derrière et l’avait assassiné, ça aurait été totalement impossible qu’on ne l’entende pas. Et encore une fois, même si ça avait été le cas, il y aurait eu une traînée de sang répandue tout autour. Mais tout le monde sur place a dit que ça avait été exactement comme s’il était tombé et s’était fendu le crâne sur une pierre. Alors, putain, sur quoi il s’est frappé la tête ?
Et puis il y a cette femme que j’ai trouvée dans un autre parc il y a environ cinq ans, à l’époque où j’étais dans le nord. On l’a trouvée au milieu d’un bosquet de gros genévriers, enroulée autour du tronc, comme si elle lui faisait un câlin. On l’attrape pour la bouger, et une vraie cascade sort de sa bouche en trempant mes pompes. Ses vêtements sont secs, ses cheveux sont secs, mais la quantité d’eau qu’on a trouvée dans ses poumons et son estomac était phénoménale. C’était complètement irréel, sérieux. L’analyse du médecin légiste ? Ça dit que la cause de la mort était la noyade. Ses poumons étaient complètement remplis d’eau. Ça, même si on était en plein milieu du désert, et il n’y a pas le moindre point d’eau sur plusieurs kilomètres. Pas de flaque d’eau, que dalle. Pas de trace de qui que soit d’autre à cet endroit. Je veux dire, ouais, c’est possible qu’on les ait butés. Mais pourquoi sortir des sentiers battus à ce point et le faire comme ça ? Pourquoi ne pas simplement les poignarder et basta ? Je n’en ai aucune idée, ça me perturbe juste. »
Bien sûr, ça m’a fait un peu flipper. Mais on était complètement ivres, et je pense que je l’ai juste considéré comme un hasard extraordinaire. Je me suis aussi dit qu’il y avait un peu d’exagération là-dedans, vu que, voilà, on était bourrés.
Ensuite, je dois dire que je n’aime pas trop parler de l’affaire suivante. C’en était une vraiment horrible, et j’ai fait de mon mieux pour l’oublier, mais c’est bien sûr plus facile à dire qu’à faire. C’est arrivé environ six mois après ma conversation avec mon ami au bar, et jusqu’à cette époque il ne m’était rien arrivé de particulièrement étrange. Deux ou trois trucs par-ci par-là, et bien sûr les escaliers, mais c’est incroyablement facile de s’habituer à ce genre de choses quand on les traite comme si c’était normal. Ce cas-là était un peu différent.
• Un gars d’une vingtaine d’année, atteint de trisomie 21, a disparu après que sa famille a perdu sa trace sur une des pistes principales. C’était déjà bizarre en soi, parce que ce garçon ne quittait jamais sa mère d’une semelle. Elle était totalement convaincue qu’il avait été kidnappé, et malheureusement un ranger qui ne fait plus partie du parc a insinué que personne ne risquait de kidnapper qui que ce soit… eh bien, avec ce genre de handicap. Ça manquait de tact, c’est le moins qu’on puisse dire. On a perdu beaucoup de temps à essayer de la calmer suffisamment pour obtenir des informations sur lui, et ensuite on a lancé un avis de recherche officiel. À cause de la gravité de la situation, étant donné qu’il était incapable de se débrouiller tout seul, on a fait appel à la police locale pour nous apporter de l’aide. On ne l’a pas retrouvé la première nuit, ce qui était vraiment affligeant. Aucun d’entre nous ne voulait l’imaginer seul, dehors. On s’est dit qu’il avait continué à se promener, et qu’il avait juste un peu d’avance sur nous.
On a fait venir les hélicos le jour suivant, et ils l’ont retrouvé dans un petit canyon. J’ai aidé à l’en sortir, mais il était mal en point, et je pense qu’on savait tous qu’il n’allait pas s’en sortir. Il était tombé et s’était brisé la colonne vertébrale, et ne pouvait plus sentir le bas de son corps. Il s’était aussi cassé ses deux jambes, une au niveau du fémur, et il avait perdu beaucoup de sang. Il avait été désorienté et terrorisé alors qu’il était dehors, il avait donc probablement aggravé ses blessures en se traînant un peu plus loin.
Je sais que ça paraît stupide, mais alors que nous étions dans l’hélico, je lui ai demandé pourquoi il s’était éloigné. Je voulais simplement quelque chose à dire à sa mère, pour pouvoir lui dire que ce n’était pas sa faute, parce qu’il perdait pied avec la réalité à une vitesse alarmante, et je ne pensais pas qu’elle aurait l’occasion de lui poser la question elle-même. Il pleurait et a dit quelque chose à propos du « petit garçon triste » qui voulait qu’il vienne jouer avec lui. Il a dit que le petit garçon voulait « faire un échange » pour qu’il puisse « rentrer chez lui. » Il a ensuite fermé les yeux, et lorsqu’il les a rouverts, il était dans le canyon. Je ne suis pas sûre que ce soit exactement ce qu’il a dit, mais c’est ce que je pensais être l’idée générale. Il continuait de pleurer, demandant où était sa maman, et je tenais sa main en essayant de le faire garder son calme. « Il faisait froid là-bas. » Il n’arrêtait pas de dire ça. « Il faisait froid là-bas. Mes jambes étaient gelées. Il faisait froid là-bas. Il fait froid à l’intérieur de moi. »
Il s’affaiblissait de plus en plus, alors je lui ai demandé d’arrêter de parler, et il a fermé ses yeux pendant un moment. Ensuite, alors qu’il ne restait plus que cinq minutes jusqu’à l’hôpital, il m’a regardée droit dans les yeux, avec de grosses larmes qui roulaient sur ses joues, et a dit « Maman ne me verra plus. J’aime ma maman, je souhaiterais qu’elle soit là. » Et il a fermé les yeux et… il ne s’est juste jamais réveillé. C’était horrible, et je n’aime pas parler de ça. Ce cas est un des premiers qui m’ont réellement choquée.
Ça m’a tellement affectée que j’ai pris contact avec un ranger expérimenté, qui s’est retrouvé à m’aider à m’en remettre. Comme le temps passait et qu’on a appris à mieux se connaître, il a fini par me partager une de ses propres histoires. C’était perturbant, mais ça m’aidait de savoir que je n’étais pas la seule qui était affectée par les évènements qui se produisaient.
« Je pense que ça s’est produit avant que tu n’arrives ici, parce que je suis sûr que si tu avais été là, tu t’en rappellerais. Je sais que, pour une raison ou pour une autre, ça n’a pas été raconté aux infos, mais je pense que tous ceux qui sont là depuis suffisamment longtemps en ont entendu parler. Le parc a vendu une portion de terrain à une entreprise d’abattage, ça avait vraiment été une décision controversée. Mais cette parcelle n’était pas si grande ou ancienne, et c’était juste après la récession, alors on avait terriblement besoin d’argent.
En tout cas, ils étaient en train de couper les arbres sur cette parcelle, et on a reçu un coup de fil comme quoi ils avaient besoin de voir nos responsables immédiatement. Je ne sais pas pourquoi, mais au final ils m’ont envoyé avec quelques autres gars pour accompagner les chefs, je suppose pour l’effet du nombre, pour voir ce qui se passait. On arrive là-bas, et ils sont tous rassemblés autour d’un arbre qu’ils viennent juste d’abattre. Ils sont tous furieux et un peu en train de flipper, et le contremaître vient nous voir et dit qu’il veut savoir ce qu’on croit qu’on est en train de faire. « Qu’est-ce que vous croyez que c’est, bordel, une putain de blague ? Vous en avez une sacrée paire de faire ça, on a acheté ce terrain honnêtement ! »
Évidemment, on ne sait pas de quoi il parle, alors il nous amène jusqu’à cet arbre et le pointe du doigt et nous dit que quand ils l’ont coupé, tout était exactement comme ça, et que le diable les emporte si c’était eux qui l’avaient mis à l’intérieur. L’intérieur de l’arbre était tout moisi et creux à un endroit, et quand ils l’ont coupé ça a révélé ce petit compartiment, et à l’intérieur il y a une main. Genre, une main tranchée nettement. Et on dirait qu’elle a fusionné avec l’intérieur de l’arbre. Alors à ce moment on pense que c’est EUX qui sont en train de se payer notre tête, et on leur dit qu’on n’aime pas trop se faire arnaquer comme ça, et on commence à s’en aller, mais ils nous disent qu’ils ont déjà appelé les flics, et qu’ils iront directement voir les médias si on ne reste pas. Ça a retenu l’attention des chefs, alors ils restent et ils parlent à la police.
Tout le monde dément avoir mis la main dans le tronc, et en plus, comment est-ce que qui que ce soit ce serait débrouillé ? C’est clairement une vraie main, mais elle n’est pas momifiée, et ce n’est pas juste les os. Elle est toute fraîche, elle n’est probablement même pas vieille d’un jour. Et elle fait bien partie du tronc, on peut voir qu’elle en sort. Les bûcherons insistent qu’ils ne l’ont pas mise là. D’une manière ou d’une autre, cette main humaine s’est retrouvée à l’intérieur de cet arbre vivant et a fusionné avec. Les flics ont fait couper cette portion de l’arbre pour pouvoir la déplacer. Puis ils ont embarqué la main et la zone a été bouclée. Il y a eu une grosse enquête, mais je sais qu’ils n’ont rien trouvé. Maintenant c’est devenu une légende, et de ce que je sais, on n’a plus jamais vendu aucune portion de terrain pour l’abattage. »
•Comme vous le savez, je suis allé à un stage de formation récemment, et j’y ai entendu des trucs incroyables et horribles. Un des gars à qui j’ai parlé quand j’étais là-bas m’a raconté une histoire quand nous étions tous autour du feu de camp un soir. On était tous les deux pas mal ivres, vous allez finir par penser que c’est une habitude, et on s’est échangé des histoires. Il m’a raconté celle-ci :
« Un autre mec et moi étions sur le terrain parce que des campeurs avaient rapporté avoir entendu des hurlements pendant la nuit. Alors on va là-bas pour chercher le putain de puma qui se serait aventuré dans la zone, et ça m’énerve. On en a eu trois qui se sont pointés dans les zones de camping seulement cette année, et j’en ai marre de devoir en permanence m’en occuper. En plus, je ne les aime pas de toute façon. Ils sont hyper casse-couilles et ils sont hyper bruyants et ils me font grave flipper. Saloperies de chats. Bestioles de merde. Je râle contre eux et me plains au gars qui est avec moi, et il pense qu’il doit vraiment y avoir une meute.
Et on voit plein de banches cassées et ce qui ressemble à des tanières, et on est quasiment sûrs de là où la bestiole est allée. J’appelle et ils me demandent de confirmer si possible, et tu sais que ça veut dire qu’ils veulent que tu marches dans un tas de merde et que tu te serves de ça comme preuve. Cela dit, je n’en vois pas un seul, alors je leur dis d’aller se faire voir et que j’en ai fini avec ça. On sait que ce truc est dans les parages, quelque part, même si je ne mets pas le pied dans ses déjections ou que je ne tombe pas face à sa gueule, ou je ne sais quoi. Le mec avec qui je suis s’éloigne pour aller pisser ou faire ce qui lui chante, et je reste derrière à observer ce petit tunnel sous un arbre pour voir si, peut-être, un renard ou autre chose ne vivrait pas dedans, parce que je kiffe les renards. Ils sont méga adorables.
En tout cas, je regarde cet arbre et je commence à entendre les branches craquer, et ça vient de l’opposé de la direction dans laquelle est allé mon partenaire. Alors bien sûr j’ai mon flingue, mais toi comme moi savons que ça ne va rien faire face à un de ces félins. Je le charge et je gueule à mon pote de ramener son cul, mais il est trop loin et ne peut pas m’entendre. Je me lève et regarde vers l’endroit d’où la chose vient, et je ne te raconte pas de conneries, je me suis presque pissé dessus. Il y a ce gars qui vient vers moi, et il se déplace en faisant des sauts périlleux en arrière entre les arbres. Genre, au lieu de marcher, il ne fait que ces putains de sauts périlleux de taré, et je jure devant Dieu qu’il a évité toutes les souches et les buissons sur son chemin, c’est comme s’il savait exactement où il mettait les pieds. Je crie à ce gars de s’arrêter là où il est, que je pointe un flingue dans sa direction, mais il continue à s’approcher, et je n’ai pas pu m’en empêcher. J’ai tiré dans la terre devant lui, et c’était complètement débile de faire ça, mais sérieux, je ne voulais pas ce gars où que ce soit à proximité de moi.
Quand j’ai tiré, il était à moins d’une cinquantaine de mètres de moi, et au moment où le coup part, il fait un tour sur lui-même et repart dans l’autre sens, en faisant des sauts périlleux vers les bois. Mon partenaire entend mon tir et revient à la hâte, il me demande ce qui se passe, et je lui dis qu’il y a un malade mental dans le coin qui saute partout sur Dieu sait quoi, et qu’il faut qu’on se tire d’ici. Je raconte toute l’histoire aux flics, et je n’ai pas eu d’emmerde pour avoir tiré, mais sérieux, je ne sais pas sur quoi était monté ce taré, mais je n’ai jamais rien vu de ce genre avant. Cette histoire était complètement ouf. »
Je pense qu’on peut tous s’accorder à dire qu’il y a des choses qui se passent dans les bois, et bien que je ne compte pas avancer d’histoire farfelue là-dessus ou imaginer une quelconque théorie, ce que je veux que les gens retiennent de tout ça, c’est qu’il est extrêmement important de rester en sécurité quand vous vous y promenez. Je sais que beaucoup d’entre vous pensent que vous êtes invincibles, mais le fait est que vous POUVEZ mourir là-dedans, ou être blessé, ou disparaître. C’est bien plus facile que ce que vous croyez.
Je m’excuse pour ce message relativement court, je vais faire de mon mieux pour continuer cette série aussi vite que possible. Merci à tous de continuer à me soutenir, vous ne savez pas à quel point ça me touche !
Search and Rescue (5)
Je suis désolée de ne faire qu’une courte mise à jour cette fois-ci, les gars. C’est un peu la folie ici depuis quelques temps, et je ne suis pas sûre de la fréquence de mes prochains messages. Je vous suis très reconnaissante du soutien que vous m’apportez, et bien que je n’aie pas beaucoup d’histoires à vous partager, je serai très intéressée de voir ce que vous en pensez tous !
•Un pompier qui nous aidait pendant notre stage d’entraînement m’a parlé d’un appel qu’il avait reçu, apparemment pour aller secourir un enfant sur un arbre absolument énorme. Il a dit qu’on ne lui a pas donné beaucoup de détails, seulement qu’on avait besoin qu’il vienne pour apporter son aide car il n’y avait pas d’équipement adéquat. Il avait été spécialement appelé parce que ce truc était si gigantesque que les secouristes ne se sentaient pas d’y grimper. Il avait été élagueur avant de rejoindre les pompiers volontaires, alors c’était assez simple pour lui d’attraper son ancien équipement et de venir à la rescousse. On l’a escorté sur environ trois kilomètres, et l’équipe s’est arrêtée devant l’un des arbres les plus massifs de la zone avant de pointer leur doigt vers le haut. Il a ri et a demandé au capitaine comment l’enfant s’était retrouvé là-haut, a fait une blague à propos des affaires de « chat coincé en haut d’un arbre », mais le capitaine a secoué la tête et lui a dit de grimper et de faire descendre l’enfant. Il m’a dit qu’il savait que quelque chose clochait, mais qu’il n’a pas insisté. Il m’a raconté que pendant son ascension sur l’arbre, il a commencé à se demander s’ils n’étaient pas en train de se payer sa tête. « Le gamin n’aurait jamais pu escalader ce putain de truc. Il était énorme à sa base, mais arrivé environ à la moitié, il devenait de plus en plus étroit, et j’ai failli faire marche arrière quelques fois parce que je doutais vraiment qu’il puisse soutenir mon poids. » Mais il a dit qu’il a continué quand même, et alors qu’il était presque arrivé au sommet, il a aperçu un truc bleu dans les branches. « J’ai vu le t-shirt du gosse comme coincé dans une branche, je l’ai appelé et lui ai dit de s’approcher s’il le pouvait, mais il n’a pas répondu. J’ai continué d’avancer en l’appelant par son prénom, en lui disant de ne pas être effrayé, que j’étais là pour l’aider. Quand je l’ai atteint, j’ai compris qu’il ne risquait pas de me répondre. Je l’ai trouvé, ou plutôt ce qui restait de lui, retenu par un embranchement dans les branches, et le fait qu’il était là-haut était totalement un coup de chance. S’il était tombé de n’importe quelle autre manière, il se serait écrasé au sol. Ça n’aurait rien changé de toute façon, car l’enfant était mort bien avant de se retrouver perché sur cet arbre. Je ne sais pas qui l’a foutu là-haut, ou comment, ou pourquoi, mais c’était carrément glauque. Ses intestins étaient ressortis par sa bouche et pendaient dans les branches. La manière dont ils étaient suspendus, ça rappelait un putain d’arbre de Noël, mais un qui aurait été décoré par un malade. J’ai regardé d’un peu plus près, et j’ai vu qu’ils étaient aussi sortis de l’autre côté, ses tripes pendaient depuis l’arrière de son pantalon. Ses yeux n’étaient plus là, probablement expulsés par la force, quelle qu’elle soit, qui l’avait fait éclater comme un pop-corn. T’as déjà vu un corps qui est resté dans l’eau pendant un bon moment, comment leur langue a gonflé et ressort ? La sienne était comme ça. Je m’en rappelle parce qu’il y avait des mouches qui grouillaient dessus. Je pense que j’étais en état de choc parce que… Bordel, j’ai juste poussé le gamin avec un bâton que j’avais arraché d’une branche. Je lui ai juste donné des petits coups jusqu’à ce qu’il tombe. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça… J’ai presque perdu mon job à cause de ça. Mais bon sang, la simple idée de transporter ce gosse sur mon épaule jusqu’au sol, de rassembler ses tripes et de les enrouler autour de moi comme une corde pour qu’ils ne s’accrochent nulle part… Je ne pouvais pas. J’ai vu beaucoup d’enfants morts. Plus que ce que je n’avouerai jamais. J’ai vu un gamin caché dans une baignoire remplie pendant un incendie. Ça l’a cuit vivant, et l’a littéralement transformé en soupe. Mais ça… Je ne sais pas ce qui a fait ça, mais l’idée de toucher le corps de cet enfant m’a donné l’impression que j’allais perdre la tête. Je l’ai entendu percuter le sol et j’ai pensé que tout le monde aurait pété un câble, mais ils savaient qu’il était mort quand ils m’ont envoyé là-haut. Ils n’ont rien dit, mais ils n’ont pas non plus hurlé ou quoi que ce soit. Je suis redescendu et suis allé confronter le capitaine, en lui demandant qui il pensait qu’il était pour m’envoyer là-haut alors qu’ils savaient parfaitement que le gosse était mort. Mais il a juste dit que ça ne me regardait pas, et il m’a simplement remercié pour avoir descendu la preuve. Je me rappelle qu’il a dit ça, je m’en rappelle aussi bien parce que c’était vraiment bizarre d’entendre ça formulé de cette manière. « La preuve ». Comme s’il n’était même pas une personne. Comme s’il n’avait jamais été un petit enfant qui s’était perdu et avait subi quelque chose de foutrement indescriptible. Le capitaine m’a fait escorter par une équipe hors de la forêt, mais lui et deux autres sont restés derrière, et j’ai trouvé ça étrange. Pourquoi est-ce qu’ils ne m’avaient pas aidé à sortir le gosse de là ? J’ai essayé de poser des questions, mais les gars qui m’accompagnaient ont simplement répondu qu’ils ne pouvaient rien dire sur une enquête ouverte. » Je lui ai demandé s’il avait une idée de ce qui avait pu arriver à l’enfant, et il est resté songeur un bon moment. « J’aurais bien dit qu’il s’est fait écraser, mais avec ce genre de blessures on trouve beaucoup de contusions sous la peau, un traumatisme évident. Ça n’avait rien à voir. C’était comme si le gamin s’était retrouvé dans un aspirateur géant et que ses intestins avaient été sortis de lui comme ça. Mais même là, il n’y avait pas de traumatisme. Pas la moindre trace. Je me pose des questions. Je me pose des putains de questions."
•Un des vétérans du stage d’entraînement lit NoSleep, et il a reconnu mes histoires. Il me connaît plutôt bien, et on en avait déjà échangé par le passé. Il m’a demandé s’il pouvait me confier quelque chose qu’il avait remarqué à propos des escaliers, et quelques idées qu’il s’était fait. « Je suis vraiment content que tu aies décidé de partager tout ça. Je pense que c’est important que les gens sachent ce qui se passe, en particulier parce que les services forestiers se débrouillent si bien pour tout couvrir. » Je lui ai demandé ce qu’il entendait par là. « Comment ça, qu’est-ce que je veux dire ? L’absence de la moindre attention de la part des médias ? Aucune couverture des disparitions d’enfants, ou des corps retrouvés à des kilomètres de là où ils étaient censés être ? David Paulides a visé dans le mille, les services forestiers font tout ce qu’ils peuvent pour que les gens continuent à venir, même si c’est dangereux. Je veux dire, pour être tout à fait honnête, ce n’est pas comme si ces trucs arrivaient tous les jours. Mais le nombre de cas ne cesse d’augmenter, et ça vaut le coup de s’y intéresser. En particulier les escaliers. J’ai été plutôt surpris que tu ne mentionnes pas ceux qui sont retournés. » Je ne savais pas de quoi il parlait, je ne me rappelais pas qu’il en ait jamais fait mention. Il a eu l’air complètement interloqué. « Bon sang, je n’arrive pas à croire que tu aies travaillé là-dedans aussi longtemps sans les voir. Personne ne t’a rien dit à ce sujet ? » J’ai haussé les épaules et lui ai demandé de me donner des détails. « Eh bien, il y a les escaliers normaux, ceux qui apparaissent quand on s’écarte des chemins. Je sais que tu es au courant pour ceux-là. Mais il m’est arrivé d’en croiser qui sont à l’envers. Je pense qu’on pourrait comparer ça à si tu avais une maison de poupée et que les escaliers étaient une pièce séparée. Maintenant tu prends ça, tu le retourne de manière à ce que la marche du haut soit enfoncée dans le sol, et tu le mets dans la forêt. C’est à ça qu’ils ressemblent. Je ne les rencontre pas aussi souvent, mais ils sont bizarres, c’est le moins qu’on puisse dire. Ça me fait penser à un enregistrement qui a été pris après une tornade, quand les maisons sont détruites et qu’il ne reste que quelques trucs aléatoires qui tiennent, comme des cheminées et des murs de jardin. Ceux-là me font encore plus flipper que les normaux, parce que je ne peux pas les ignorer aussi facilement. » Je n’ai pas peur facilement, comme la plupart de ceux qui bossent ici, mais cette idée m’est restée en tête, et ça me travaille. Je vais essayer d’en savoir plus à leur propos. Il a aussi mentionné à quel point les gens étaient préoccupés par l’homme sans visage. Il est devenu tout excité et m’a dit qu’il avait vu quelque chose de semblable. « Il y a quelques années, j’ai pris part à un exercice dans les bois. J’étais installé dans ma tente et j’ai entendu quelqu’un vagabonder à l’extérieur du camp. On nous dit de ne pas nous aventurer trop loin, ça tu le sais, alors je me suis demandé si un nouveau n’était pas allé se soulager et n’arrivait pas à retrouver son chemin. Tu te rappelles le gars dans notre groupe, il y a quelques années, qui a failli tomber de cette fichue montagne ? Depuis, je suis un peu paranoïaque à l’idée que ça se reproduise, alors je me suis levé pour aller voir. Je suis allé à l’extrémité du camp et j’ai crié à la personne, peu importe qui c’était, que le camp était dans cette direction. Mais les pas continuaient à faire des allées et venues dans les bois, alors je les ai suivis. Je sais que c’était stupide, mais j’étais à moitié endormi, et je n’avais aucune envie de devoir gérer un idiot qui se blesserait lui-même. J’ai suivi cette chose sur un chemin complètement droit pendant presque un kilomètre et demi, et ça s’est arrêté sur le bord d’une rivière. Je pouvais en voir la silhouette parce que l’eau reflétait la lune, et il avait l’air d’un gars normal. Il avait un sac sur le dos, et on aurait dit qu’il me faisait face. Je lui ai demandé si ça allait, s’il avait besoin d’aide, et il a incliné sa tête comme s’il ne me comprenait pas. J’ai toujours mon couteau de poche sur moi, et il y a une petite lampe qui y est accrochée, alors je l’ai allumée en éclairant son torse pour ne pas l’aveugler. Il respirait doucement et profondément, alors je me suis demandé s’il n’était pas en train de faire une crise de somnambulisme. Je me suis approché et lui ai demandé de nouveau s’il allait bien. J’ai éclairé un peu plus haut, et quelque chose avait l’air bizarre, donc je me suis arrêté. Il continuait de prendre des inspirations extrêmement longues et profondes, et j’ai compris au fur et à mesure que c’était ça qui me perturbait. C’était comme s’il faisait semblant de respirer, mais qu’il ne le faisait pas en réalité. Sa respiration était beaucoup trop régulière et profonde, et tous ses mouvements étaient exagérés, comme ses épaules qui remontaient et sa poitrine qui se gonflait. Je lui ai dit de s’identifier, et il a fait ce bruit sourd. J’ai encore levé ma lampe, et je ne te raconte pas d’histoires, le gars n’avait pas de visage. Juste de la peau lisse. J’ai flippé et laissé échapper ma lampe, mais je l’ai vu se déplacer vers moi, mais sans bouger. Je ne sais pas trop comment l’expliquer, une seconde il était sur le bord de la rivière, et la suivante il était à quelques mètres de moi. Je n’ai ni regardé ailleurs, ni cligné des yeux, à aucun moment, c’était comme s’il bougeait si vite que mon cerveau n’arrivait pas à suivre. J’ai trébuché et suis tombé sur mes fesses quand j’ai vu la ligne ouverte sur son cou. Ça s’étirait jusqu’à ses oreilles. Il n’y avait pas de sang, juste ce trou noir, et je pourrais jurer qu’il m’a souri avec cette entaille dans sa gorge. Je me suis relevé et j’ai couru aussi vite que possible jusqu’au camp. Je ne pouvais pas l’entendre me suivre, mais j’avais la sensation qu’il était juste derrière moi, même si je ne le voyais pas quand je me retournais. Je me suis calmé quand j’ai regagné le camp. Le feu était toujours allumé et je suppose que l’esprit de groupe qu’on a quand on est avec d’autres personnes m’a permis de m’arrêter et de respirer un coup. J’ai attendu près du feu pour voir s’il me suivrait jusqu’ici, mais je n’ai rien entendu d’autre pendant quelques heures, alors je suis retourné me coucher. Je sais que ça paraît bizarre, mais c’était si irréel que c’était comme si je l’avais automatiquement attribué à mon imagination. »
•On se racontait des histoires de fantômes un soir avant d’aller au lit pour se faire peur les uns les autres et se moquer de ceux qui marchaient. La plupart du temps, ce sont les nouveaux, mais une femme a raconté une histoire qui a réussi à me donner quelques frissons, et je sais que ça a été pareil pour les autres. Elle a dit que c’était vrai, mais encore une fois, toutes les histoires de fantômes racontées autour d’un feu de camp sont vraies. Pourtant, d’une certaine manière, je ne crois pas qu’elle inventait. Ça avait ce petit parfum de vérité que seuls les évènements réellement traumatisants ont. Elle a dit que quand elle était enfant, elle et son amie avaient l’habitude d’aller régulièrement dans les bois derrière sa maison. Elle vivait dans le nord du Maine, où on trouve beaucoup de forêts nationales inhabitées et très denses. Elle a dit que les bois de là-bas n’ont rien à voir avec ceux d’ici. Ils sont si denses à certains endroits que les arbres bloquent presque complètement les rayons du soleil. Son amie et elle ont grandi là-bas, donc elles n’avaient pas peur de s’y balader seules, mais elles restaient toujours sur leurs gardes dans certaines zones. Elle a dit qu’on n’en parlait presque jamais, mais qu’elles savaient qu’elles ne devaient jamais s’aventurer à plus de deux ou trois kilomètres au-delà de leur maison. Les adultes ne disaient jamais pourquoi, mais c’était une règle tacite et personne n’essayait d’aller aussi loin. Son amie et elles s’inventaient des histoires à propos d’ours aussi grand que des maisons vivant là-bas, et elles se faisaient souvent peur en se cachant et en faisant des bruits de grognement pendant que l’autre cherchait. Elle a dit qu’un été, il y a eu une série de terribles tempêtes qui ont arraché beaucoup d’arbres, et mis le feu à une partie de la forêt quelques kilomètres derrière sa maison. Les équipes de pompier ont réussi à garder l’incendie sous contrôle, mais elle a dit que certains sont revenus « pas exactement pareils. » « C’était comme s’ils avaient fait la guerre. On pouvait facilement dire qui avait réellement été effrayé car ils avaient le même regard, je crois que ça s’appelle le syndrome de l’obusite. Mon amie et moi disions qu’ils étaient comme des morts qui marchaient. Ils ne souriaient ou ne parlaient pas si on allait les voir, et la plupart ont quitté la ville dès que tout a été terminé. J’ai questionné mes parents à ce propos, mais ils ont dit qu’ils ne savaient pas de quoi je parlais.Quand les bois ont été déclarés sûrs de nouveau, mon amie et moi avons décidé d’essayer de faire une randonnée jusqu’à l’endroit où le feu s’était déclaré. Nous n’avons pas dit à nos parents où nous allions, et c’était plutôt excitant de se dire qu’on leur désobéissait comme ça. On s’est frayé un chemin sur environ trois kilomètres, et on a commencé à voir des arbres brûlés et d’autres trucs. Je me rappelle que mon amie a été vraiment chamboulée parce qu’on a trouvé le squelette d’un cerf roulé en boule sous un arbre, et j’ai presque dû la tirer en arrière. Elle voulait l’enterrer, mais je ne voulais pas qu’elle y touche parce que ses bois étaient bizarres. Je ne me rappelle pas pourquoi, je me rappelle juste avoir pensé qu’il y avait quelque chose qui clochait avec eux et que je ne voulais pas qu’elle ou moi nous approchions. Plus nous allions loin, plus ce qui nous entourait était brûlé. Au bout d’un moment, il n’y avait plus d’arbre debout, et ça donnait l’impression d’être sur une autre planète. Presque rien de vert, juste du marron et du noir partout. On était plantées là, en train de regarder tout ça, quand on a entendu quelqu’un crier au loin. J’ai paniqué car j’ai cru que c’était mon père, et qu’il allait me dire que j’étais punie. Mon amie m’a lâchée et est partie se cacher derrière un gros rocher, parce qu’elle a dit qu’elle ne voulait pas qu’on la trouve ici. Ses parents lui avaient interdit d’aller dans les bois tout court, et elle avait menti en disant qu’on allait regarder un film. Je l’ai suivie, et on a continué à écouter. Je pouvais entendre que la voix s’approchait, et j’ai réalisé que c’était des appels à l’aide. J’ai pensé que c’était peut-être un randonneur qui s’était perdu et qui avait besoin qu’on le raccompagne en ville. Ça arrivait tout le temps, alors j’avais l’habitude d’aider les gens à repartir. J’ai entendu qu’il suivait ma voix, donc j’ai continué à l’appeler jusqu’à ce que je le voie courir au loin. Il s’est approché et j’ai pu voir que son visage était tout rouge. J’ai dit à mon amie de me donner son sac, parce qu’elle avait un kit de premier secours. Elle a fait un bruit comme si elle était écœurée, et m’a demandé si j’avais vu son visage. Je lui ai dit de se taire, et ai trottiné à la rencontre de l’homme. Je me suis arrêtée presque à mi-chemin et quand il s’est arrêté, je pouvais voir que son nez, ses lèvres et une partie de son front avaient disparu. C’était comme si on les avait découpés nettement. Il saignait abondamment, et j’ai vu que les genoux de son pantalon étaient aussi rouges. J’ai fait un pas en arrière, mais j’avais trop peur pour pouvoir beaucoup bouger, et il a attrapé mes épaules. J’ai eu l’impression de recevoir un choc électrique, et il a brusquement reculé. Il a commencé à bredouiller, et je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il disait, à part qu’il demandait depuis combien de temps il était parti. Il m’a demandé où était « son unité », mais j’ai simplement secoué la tête. Il m’a regardée de haut en bas, puis il a vu mon Walkman et s’est mis à crier. Il continuait de bredouiller et de toucher son visage, et j’ai réalisé qu’il ne portait pas les bons vêtements. Il avait une sorte de veste grise en tissu et presque un pantalon de cérémonie, et la veste avait des boutons bizarres et des bordures rouges. J’ai continué à secouer la tête et lui ai dit que je ne comprenais pas ce qu’il racontait. Je suis allée ouvrir le kit de premier secours mais il a encore crié et a dit la seule chose que j’ai vraiment compris : « Ne me touchez pas ! Vous allez m’y faire retourner ! » Après ça, il s’est enfui, et je pouvais entendre ses cris pendant sa course. Quand je ne l’ai plus entendu, je me suis retournée, et mon amie pleurait. Je me suis juste encore retournée et ai commencé à prendre le chemin de la ville. Elle n’a pas arrêté de me demander ce qui s’était passé et qui c’était, mais je n’ai rien répondu. Quand on est arrivées, je lui ai dit que je ne voulais plus jamais jouer dans les bois avec elle. Nous sommes toujours amies, mais on ne parle jamais de cet homme. Jamais."
Je ferai une autre mise à jour dès que je pourrai. Je suis très contente que vous continuiez à me soutenir !
Search and Rescue (3)
Bon, une fois encore vous m’avez époustouflée avec toutes vos réponses à mes histoires ! J’arriverai jamais à tous vous répondre, donc je vais juste parler des sujets qui reviennent souvent, et j’enchainerai avec les histoires. Je vais en écrire autant que possible, en plus de celles de mes amis, et puis je ne posterai probablement plus avant d’avoir eu une chance d’obtenir les réponses à certaines questions que j’ai pour mes supérieurs.
Très bien, alors les questions que vous semblez tous avoir :
• Malheureusement je préfère ne pas vous dire précisément où je travaille. Honnêtement, certaines des choses dont j’ai parlé ici pourraient m’attirer beaucoup d’ennuis, je pourrais même être virée, donc il vaut mieux que je ne donne pas trop de précisions. Disons juste que je suis aux Etats-Unis, dans une région assez sauvage. On a des centaines de kilomètres carrés de forêts épaisses, avec une chaîne de montagnes et quelques lacs.
• Il y a toujours beaucoup d’intérêt pour les escaliers, et vous avez de la chance, un de mes amis a justement une histoire à ce sujet qui pourrait beaucoup vous plaire. J’en parlerai plus à la fin de ce post. Pour ce qui est de savoir si j’ai déjà pensé à en parler à mes supérieurs, oui ça m’est déjà arrivé, mais c’est la même chose que tout à l’heure, j’ai pas envie de perdre mon boulot. Toutefois, un de mes anciens chefs ne travaille plus en tant qu’agent SAR, et c’est possible qu’il veuille bien me donner des infos sur le sujet. J’irai lui parler à la fin de la semaine, et je vous tiendrai au courant.
• Et pour ceux qui veulent des conseils pour devenir agent SAR, le mieux reste de contacter votre Service des Forêts local, et de voir s’ils proposent des stages, ou quelles sont les qualifications requises. Ça fait des années que je fais ce job, et j’ai commencé comme volontaire sur des opérations de recherches. C’est un super métier, à part les quelques moments tragiques, et je n’en changerais pour rien au monde.
Allez, passons aux histoires :
• La première m’est arrivée lors d’une de mes toutes premières affaires, et je découvrais encore un peu tout. Avant de faire ce job, j’étais une volontaire, donc je savais un peu à quoi m’attendre, mais en tant que telle je me contentais de retrouver les personnes disparues une fois qu’un vétéran avait trouvé leur trace. En tant qu’agent SAR, les affaires sont bien plus variées, des morsures d’animaux aux crises cardiaques. On nous a appelés sur celle-ci tôt dans la matinée, un jeune couple qui était sur un des chemins près du lac. Le mari était complètement hystérique, et on avait du mal à comprendre ce qui se passait. On entendait la femme crier un peu plus loin, et elle nous suppliait de la rejoindre au plus vite. Lorsqu’on arrive, on le voit qui la tient dans ses bras, et elle qui tient quelque chose dans les siens. Elle pousse ces hurlements horribles, presque comme un animal, en pleurnichant. Le mari nous aperçoit, et nous crie de les aider, de faire venir une ambulance. Sauf qu’évidemment une ambulance ne peut pas rouler sur ce sentier, donc on lui demande si sa femme a besoin d’aide, ou si elle peut marcher toute seule. Il est toujours hystérique, mais parvient à nous dire que ce n’est pas sa femme qui a besoin d’aide. Je vais la voir pendant qu’un vétéran essaie de le calmer, et je lui demande ce qui se passe. Elle se balance, en tenant quelque chose, et en criant encore et encore. Je m’accroupis, et je constate que ce qu’elle tient est couvert de sang. Puis je remarque le porte-bébé, et mon cœur se noue. Je lui demande de m’expliquer ce qu’il se passe, et j’essaie de lui ouvrir les bras en douceur pour voir ce qu’elle tient. C’est son bébé, mort à l’évidence. Sa tête était défoncée sur un côté, et il était couvert d’égratignures. Alors, j’avais déjà vu des cadavres auparavant, mais quelque chose dans cette scène me choque profondément. Il m’a fallu un instant pour reprendre mon sang-froid et aller chercher un des vétérans qui attendait. Je lui dis qu’il s’agit d’un gosse mort, et il me prend gentiment l’épaule, en me disant qu’il va s’en occuper. Ça nous a pris plus d’une heure pour que cette femme nous laisse voir son enfant. A chaque fois qu’on essaie de lui prendre, elle panique et nous dit qu’on ne peut pas l’avoir, qu’il ira bien si on la laisse s’en occuper seule. Mais finalement, un de nos vétérans parvient à la calmer, et elle nous donne le corps. On le ramène à l’infirmerie, mais lorsque les médecins sont arrivés, ils nous ont dit qu’il n’y avait jamais eu la moindre chance de le sauver. Il est mort sur le coup du traumatisme crânien. J’étais amie avec une des infirmières qui les a accueillis à l’hôpital, et elle m’a expliqué ce qui s’est passé. Apparemment, le couple avait l’enfant dans le porte-bébé, et ils se sont arrêtés parce qu’il s’agitait. Le père l’a prit dans ses bras, pendant qu’il observe cette petite ravine près du chemin. La mère vient à ses côtés, mais elle marche sur une parcelle de sol friable, et elle dérape. Elle rentre dans le père, qui lâche l’enfant, et ce dernier fait une chute de six mètres sur les rochers au fond de la ravine. Le père est descendu le chercher, mais il était tombé pile sur la tête, et il était déjà mort. Il n’avait que 15 mois. Ce n’était qu’un accident ridicule, une série d’évènements qui ont conduit au pire scénario possible. C’est probablement une des pires affaires sur lesquelles j’ai été appelée.
• Je n’ai pas vu beaucoup de morsures d’animaux durant mes années de service, probablement parce qu’il n’y en a pas beaucoup qui s’aventurent dans la région. Bien qu’il y ait des ours dans le coin, ils ont tendance à éviter les hommes, et il est très rare d’en voir. Ce sont surtout de petites bêtes qu’on peut croiser, comme des coyotes, des ratons-laveurs ou des mouffettes. Ce qu’on voit souvent, en revanche, ce sont les élans. Et croyez-moi, les élans sont de vrais enfoirés. Ils chargent n’importe quoi sans raison, et que Dieu vous aide si vous vous retrouvez entre une femelle et son petit. Un des appels les plus amusants qu’on ait reçu était celui d’un gars qui avait été poursuivi par un énorme élan mâle, et qui s’était retrouvé coincé dans un arbre. Ça nous a pris facilement une heure pour le faire descendre, et quand il s’est retrouvé à terre il m’a regardé, et m’a dit : « Bordel, cet enfoiré est pas passé loin. » C’est pas vraiment une histoire effrayante, mais elle nous fait toujours rire.
• Honnêtement je sais pas comme j’ai pu oublier cette histoire, mais c’est de loin la chose la plus effrayante qui me soit arrivée. Je suppose que j’ai essayé de l’oublier pendant tellement longtemps qu’elle ne m’est pas venue à l’esprit tout de suite. Quand tu passes littéralement tout ton temps dans les bois, la première chose à éviter c’est de laisser l’idée de se retrouver seul t’effrayer, ou celle d’être au milieu de nulle part. C’est pourquoi, quand ça nous arrive, on a tendance à l’oublier et on passe à autre chose. A ce jour, c’est le seul évènement qui m’a poussé à sérieusement me demander si j’étais faite pour ce boulot. Je n’aime pas trop en parler, mais je vais faire de mon mieux pour m’en souvenir. Autant que je m’en souvienne, ça s’est passé à la fin du printemps. C’était un cas de disparition d’enfant typique, une fille de quatre ans qui s’est aventurée au-delà du campement familial, et qui n’étais pas revenue depuis deux heures. Les parents étaient totalement abattus, et nous ont dit ce que la plupart disent : mon enfant n’irait jamais se perdre, elle est si sage, elle n’a jamais rien fait de semblable auparavant. On promet aux parents de faire tout ce qu’on peut pour la retrouver, et on se déploie en formation de recherche classique. J’étais en duo avec un bon ami, et on discutait de tout et de rien en cherchant. Je sais que ça a l’air désinvolte, mais on devient un peu blasé à force de faire ce job. Ça devient habituel, et je pense qu’il vaut mieux savoir se désensibiliser pour bien faire le boulot. On cherche pendant facilement deux heures, bien au-delà de sa position présumée, et on arrive à une petite vallée lorsque quelque chose nous fait tous les deux nous arrêter au même moment. Immobiles, on s’échange un regard, et c’est presque comme si un avion se dépressurisait. Mes oreilles se sont bouchées, et j’ai eu l’étrange impression de tomber de trois mètres. Je m’apprête à demander à mon pote s’il a ressenti la même chose, mais je n’ai pas le temps d’articuler un son qu’on entend le bruit le plus fort que j’ai jamais entendu. C’est presque comme un train de marchandises qui nous passerait dessus, mais ça vient de partout à la fois, y compris d’au-dessus et d’en-dessous. Mon ami me crie quelque chose, mais je n’ai rien compris avec ce rugissement assourdissant. Un peu effrayés, vous vous en doutez, on regarde autour de nous, pour trouver la source du bruit, mais aucun de nous ne voit quoi que ce soit. Bien entendu, j’ai d’abord pensé à un glissement de terrain, mais nous ne sommes proches d’aucune falaise, et même dans ce cas nous aurions déjà été ensevelis. Le bruit continue, et on essaie de se crier l’un à l’autre, mais même en étant côte à côte, on n’entend rien d’autre que ce bruit. Et d’un coup, aussi soudainement qu’il est apparu, il s’arrête, comme si quelqu’un avait appuyé sur marche/arrêt. On reste là un instant, parfaitement immobiles, et progressivement les bruits normaux de la forêt reviennent. Il me demande ce que c’était ce bordel, mais je me contente d’hausser les épaules, et on se regarde pendant une minute. Je prends ma radio, et je demande si quelqu’un d’autre vient d’entendre la putain de fin du monde, mais apparemment nous sommes les seuls, alors qu’on est tous à portée de voix. On choisit de l’ignorer avec mon pote, et de continuer à avancer. Environ une heure plus tard, on vérifie par radio, et personne n’a trouvé la petite fille. La plupart du temps, on ne cherche pas quand la nuit tombe, mais là comme on n’a aucune trace d’elle, quelques-uns d’entre nous décident de poursuivre, y compris mon pote et moi. On reste groupés, et on l’appelle toutes les deux minutes. A ce moment, j’espère vraiment qu’on va la trouver, parce que bien que je n’aime pas les enfants, l’idée qu’ils soient tout seuls dehors dans la nuit est horrible. Si les bois peuvent être impressionnants pour les enfants de jour, la nuit c’est bien pire encore. Mais on ne trouve aucun signe d’elle, et toujours pas de réponse à nos appels, donc autour de minuit on décide de rentrer au point de rencontre. On est à mi-chemin quand mon pote s’arrête et éclaire de sa lampe un groupe d’arbres morts, très dense, à notre droite. Je lui demande s’il a entendu une réponse, mais il me dit juste d’être silencieuse un instant et d’écouter. Je m’exécute, et je perçois au loin ce qui ressemble aux pleurs d’un enfant. On appelle tous les deux le nom de la fille et on tend l’oreille pour sa réponse, mais n’y a que ces pleurs très faibles. Nous nous dirigeons vers ces arbres morts et on les contourne en appelant son nom. A mesure que l’on se rapproche des pleurs, je commence à avoir cette étrange sensation, et je dis à mon pote que quelque chose ne va pas. Il me dit qu’il ressent la même chose, mais qu’il ne parvient pas à savoir pourquoi. On s’arrête sur place, et on appelle le nom de la fille une fois encore. Et au même moment, on comprend tous les deux. Les pleurs sont en boucle. C’est un petit pleurnichement, puis un gémissement, puis un hoquet silencieux, et ça se répète sans cesse. Ce sont exactement les mêmes à chaque fois, et sans dire un mot de plus, on prend tous les deux nos jambes à notre cou. C’est la seule fois où j’ai perdu mon sang-froid comme ça, mais il y avait quelque chose là-dedans de terriblement faux, et aucun de nous deux ne voulait rester dehors. Quand on est arrivé au point de rencontre, on a demandé aux autres s’ils avaient entendu quoi que ce soit d’étrange, mais personne d’autre ne voyait de quoi on parlait. Je sais que ça fait un peu décevant, mais cet appel m’a troublé pendant longtemps. Et pour ce qui est de la petite fille, on n’a jamais trouvé la moindre trace d’elle. On reste toujours à l’affut de signes, comme pour toutes les personnes qu’on n’a jamais retrouvées, mais franchement je doute qu’on ait des résultats.
• De toutes les affaires de personnes disparues sur lesquelles j’ai bossé, seulement quelques-unes n’ont donné aucun résultat, c’est-à-dire aucune trace de la personne, et aucun corps retrouvé. Mais parfois, le fait de trouver quelque chose peut mener à plus de questions que de réponses. Voilà quelques-uns des corps qu'on a retrouvés et qui sont devenus célèbres dans notre équipe :
• Un adolescent dont les restes ont été retrouvés presque un an après qu’il ait disparu. On a trouvé le haut de son crâne, deux os de doigts, et sa caméra à presque soixante kilomètres de l’endroit où il avait été vu pour la dernière fois. La caméra était malheureusement détruite.
• Le bassin d’un vieil homme qui avait disparu un mois plus tôt. C’est tout ce qu’on en a retrouvé.
• La partie inférieure de la mâchoire d’un garçon de deux ans, ainsi que son pied droit, au sommet du plus haut pic d’une crête au sud du parc.
• Le corps d’une fille de dix ans avec le syndrome de Down, presque trente kilomètres de là où elle avait disparu. Elle était morte de froid trois semaines après sa disparition, et tous ses vêtements étaient en parfait état à l’exception de ses chaussures et de sa veste. Lors de l’autopsie, ils ont trouvé des baies et de la viande cuite dans son estomac. Le médecin a dit que c’était comme si quelqu’un s’était occupé d’elle. Il n’y a jamais eu de suspect identifié.
• Le corps gelé d’un bébé d’un an, trouvé une semaine après qu’il ait disparu dans le tronc creux d’un arbre, à quinze kilomètres de l’endroit où il avait été vu pour la dernière fois. Il y avait du lait frais dans son estomac, mais sa langue avait disparu.
• Une simple vertèbre et le genou droit d’une fille de trois ans, trouvée dans la neige à presque trente kilomètres du terrain de camping où elle s’était rendue avec sa famille l’été précédent.
• Passons maintenant à deux histoires que m’a racontées mon ami. Comme je l’ai déjà dit, vous semblez tous intéressés par les escaliers, et vous avez de la chance, il a eu une aventure particulière avec eux. Bien qu’il n’ait aucune explication à leur donner, il a un peu plus d’expérience avec eux que moi.
• Mon pote est un agent SAR depuis environ sept ans, il a commencé pendant son année de licence, et il lui est arrivé la même chose qu’à moi la première fois qu’il a rencontré les escaliers. Son tuteur lui a tenu à peu près le même discours que le mien, c’est-à-dire de ne jamais s’en approcher, ni de les toucher ou de les monter. Pendant sa première année, c’est ce qu’il a fait, mais apparemment sa curiosité a fini par l’emporter, et lors d’un appel il s’est éloigné du groupe pour aller en voir un. Il m’a dit qu’ils étaient à environ une quinzaine de kilomètres du chemin d’où une jeune fille avait disparu, et que les chiens suivaient une piste. Il était seul, à la traine derrière le groupe, lorsqu’il a aperçu un escalier à sa gauche. Il avait l’air de venir d’une maison neuve, parce que la moquette était blanche et immaculée. Il m’a dit qu’à mesure qu’il s’en approchait, il ne se sentait pas différent, et n’entendait pas de bruits bizarres. Il s’attendait à quelque chose, comme saigner de ses oreilles ou s’évanouir, mais il parvient juste à côté sans rien ressentir. La seule chose étrange, m’a-t-il dit, était qu’il n’y avait absolument aucun débris dessus. Pas de terre, de feuilles, ou de poussière, rien. Et il ne semblait pas y avoir le moindre signe d’animaux ou d’insectes présents aux alentours, ce qu’il a trouvé anormal. Ce n’était pas comme si la faune évitait l’endroit, mais plutôt comme si l’escalier se trouvait dans un coin désert de la forêt. Il l’a touché, et n’a rien ressenti, à part cette sensation particulière de la moquette neuve. En s’assurant que sa radio fonctionnait, il a doucement commencé à monter les marches ; il m’a dit que c’était terrifiant, à cause de tout ce qu’on nous avait raconté dessus, il ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. En blaguant, il m’a dit qu’il s’attendait soit à être téléporté dans une autre dimension, soit à ce qu’un OVNI apparaisse. Mais il est arrivé au sommet sans que rien de tout cela ne se passe, et il est resté là, à regarder autour de lui. Cependant, il m’a dit que plus il y restait, plus il avait cette sensation de faire quelque chose de vraiment, vraiment mal. Il m’a décrit ce sentiment comme celui qu’on aurait en étant dans un bâtiment du gouvernement sans en avoir le droit. Comme si quelqu’un allait venir pour l’arrêter, ou lui tirer dans la nuque, à tout moment. Il a essayé de ne pas y penser, mais la sensation ne cessait de devenir plus forte, et c’est alors qu’il a réalisé qu’il ne pouvait plus rien entendre. Les bruits de la forêt avaient disparu, et il ne pouvait même plus entendre sa propre respiration. C’était comme une espèce d’acouphène bizarre et horrible, mais plus oppressant encore. Il en est descendu et est parti rejoindre le groupe, sans en parler à personne. Mais le plus étrange restait à venir, m’a-t-il dit. A la fin de la journée, après la recherche, une fois de retour au centre d’accueil, son tuteur l’attendait, et l’a accosté avant que mon pote ne puisse s’éclipser. Son tuteur avait l’air très en colère, alors il lui a demandé ce qui n’allait pas. « Tu les as monté, n’est-ce pas. » Mon pote m’a dit que ce n’était pas formulé comme une question. Il a demandé à son tuteur comment il le savait. Ce dernier s’est contenté de secouer la tête. « Parce qu’on ne l’a pas retrouvée, les chiens ont perdu sa trace. » Mon pote lui a demandé où était le rapport. Le tuteur lui a demandé combien de temps il était resté sur l’escalier, et mon pote lui a répondu que ça n’avait pas dépassé une minute. Le tuteur lui a lancé un regard noir, presque méchant, et lui a dit que s’il remontait un jour sur des escaliers il serait viré. Immédiatement. Le tuteur s’éloigna, et je suppose qu’il n’a jamais répondu à aucune des questions que mon pote a pu lui poser sur le sujet depuis.
• Mon pote a participé à beaucoup d’affaires de disparitions où il n’y avait aucune trace des victimes. J’ai déjà fait allusion à David Paulides, et mon pote a dit qu’il peut confirmer que ces histoires sont, pour la plupart, exactes. Il a dit que le plus souvent, si la personne n’est pas retrouvée sur-le-champ, soit elle n’est jamais retrouvée, soit elle l’est des semaines, voire des mois plus tard, dans des endroits qu’elle n’aurait pas pu atteindre seule. Une des histoires qu’il m’a racontées est sortie du lot, au sujet d’un garçon de cinq ans avec un sérieux handicap mental.
Le petit garçon a disparu d’une aire de piquenique vers la fin de l’automne. En plus de ses troubles mentaux, il était également handicapé physiquement, et ses parents n’ont pas arrêté de nous expliquer qu’il était tout simplement impossible qu’il ait pu disparaître comme ça. Impossible. Il avait dû être enlevé. Mon pote a dit qu’ils ont fouillé les bois pendant des semaines pour le retrouver, bien au-delà de la zone de recherche standard, mais c’était comme s’il n’avait jamais été là. Les chiens n’ont jamais eu la moindre piste, pas même dans l’aire de piquenique d’où il s’était apparemment évaporé. On a suspecté les parents, mais il était assez évident qu’ils étaient ravagés, et qu’ils n’avaient rien fait de mal à leur enfant. Les recherches ont pris fin environ un mois plus tard, et mon pote m’a dit que tout le monde avait oublié cette histoire à la fin de l’hiver. Il était de sortie pour une opération d’entrainement dans la neige, sur l’un des plus hauts pics, lorsqu’il est tombé sur quelque chose dans la neige. Il a dit qu’il l’avait d’abord aperçu de loin, et qu’il a réalisé en s’approchant qu’il s’agissait d’une chemise, congelée et à moitié enfouie dans la poudreuse. Il a compris qu’elle appartenait à l’enfant grâce à ses motifs particuliers. Il a trouvé le corps de l’enfant vingt mètres plus loin, partiellement enterré dans la neige. Mon pote m’a dit que la mort ne pouvait pas remonter à plus de quelques jours, bien qu’il ait disparu depuis presque trois mois. L’enfant était lové autour de quelque chose, et lorsque mon pote a essuyé la neige pour voir ce que c’était, il n’a presque pas pu en croire ses yeux. C’était un gros morceau de glace qui avait été sculpté de manière à ressembler à une personne. L’enfant le tenait si fort qu’il en avait des engelures sur la poitrine et les mains, visibles malgré le début de décomposition. Il a appelé par radio le reste de l’équipe, et ils ont descendu le corps de la montagne. Il m’a expliqué en bref que cet enfant ne pouvait pas avoir survécu pendant trois mois tout seul, et qu’il n’avait pas pu atterrir sur ce pic. C’était physiquement impossible qu’il ait pu marcher sur soixante-quinze kilomètres et s’être retrouvé au sommet de cette fichue montagne. Pour couronner le tout, il n’y avait rien dans son estomac, ni dans son colon. Rien, pas même de l’eau. D’après mon pote, c’était comme si on l’avait enlevé de la surface du globe, laissé en suspend, puis qu’on l’avait lâché sur cette montagne trois mois plus tard, condamné à mourir de froid. Mon pote ne s’en est jamais vraiment remis.
• La dernière de ses histoires que je vais vous partager a eu lieu assez récemment, il y a quelques mois.
Ils étaient de sortie à la recherche de pumas, parce qu’ils avaient reçu de nombreux signalements. Une de nos tâches est de sillonner les zones où ces animaux ont été vus pour vérifier s’ils y sont effectivement, et le cas échéant prévenir les gens et fermer l’accès à ces chemins. Il était seul dans une partie du parc à la végétation particulièrement dense, au crépuscule, lorsqu’il a entendu ce qui ressemblait à un cri de femme, au loin. Alors, comme vous le savez sûrement, le cri du puma ressemble exactement à celui d’une femme en train d’être assassinée. C’est déroutant, mais ça n’a rien d’anormal. Mon pote a prévenu les autres par radio qu’il en avait entendu un, et qu’il allait continuer de progresser pour voir où commençait son territoire. Il a entendu le puma deux fois de plus, toujours depuis le même endroit, et en a déduit l’étendue approximative du territoire. Il s’apprêtait à rentrer lorsqu’il a entendu un autre cri, cette fois à seulement quelques mètres de lui. Il panique bien sûr, et presse le pas, parce qu’il n’a aucune envie de se retrouver face à un fichu puma et d’être mis en pièces. Tandis qu’il revient sur le chemin, il entend que le cri le suit, alors il se met à courir. Lorsqu’il était à environ un kilomètre de la base, le cri s’est arrêté, et mon pote s’est retourné pour voir ce qui le suivait. Il faisait presque nuit à ce moment, mais il m’a dit qu’au loin, juste avant que le chemin ne bifurque, il pouvait apercevoir ce qui ressemblait à une silhouette masculine. Il l’a appelé, pour l’avertir que les sentiers étaient fermés, et qu’il fallait qu’il revienne au centre d’accueil. La silhouette n’a pas bougé, et mon pote a commencé à s’en approcher. Lorsqu’il n’était plus qu’à une dizaine de mètres, la silhouette a fait, tel qu’il me l’a décrit, un « pas d’une longueur impossible » vers lui, et a poussé le même cri qu’il avait entendu jusque-là. Mon pote n’a rien dit, il a juste fait volte-face et a foncé vers la base, sans regarder en arrière. Lorsqu’il y est arrivé, le cri était retourné dans les bois. Il n’en a parlé à personne d’autre, il s’est contenté de dire qu’il y avait un puma dans les environs, et qu’il faudrait fermer les chemins jusqu’à ce que l’animal soit retrouvé et déplacé.
• Je vais m’arrêter là, puisque c’est déjà un gros pavé. Demain matin, je vais me rendre à un entrainement annuel, donc je serai partie jusqu’au début de la semaine prochaine. Je vais voir beaucoup d’ex-tuteurs, et d’amis qui travaillent dans d’autres zones du parc, et je vais leur demander s’ils n’ont pas des anecdotes qu’ils aimeraient partager. Ça me fait vraiment plaisir que mes histoires vous intéressent autant, et je continuerai à vous en partager à mon retour du stage !
Search and Rescue (2)
Alors je me suis reconnectée ce soir, et j’ai été époustouflée par l’intérêt que vous semblez porter à mes récits. Avant toute chose, j’aimerais éclairer quelques points que vous avez soulevés :
Vous avez été extrêmement nombreux à remarquer la ressemblance entre certaines de mes histoires et celles de David Paulides. Je vous assure que je n’essaie aucunement de le plagier, j’ai le plus grand respect pour lui. En fait c’est son travail qui m’a inspirée à écrire ceci, parce que je peux vérifier beaucoup des choses dont il parle. On a effectivement beaucoup de ces étranges affaires de disparition, et la plupart du temps elles ne sont pas résolues, ou alors on retrouve les personnes dans des endroits où elles n’auraient pas dû être. Personnellement, je n’ai pas bossé sur tant d’affaires de ce genre, mais je peux en partager certaines auxquelles j’ai assisté, et une histoire que m’a racontée mon ami s’y rapportant.
Il y a eu beaucoup de retours sur les escaliers, donc je vais brièvement revenir dessus, et j’ajouterai également une histoire. Ils possèdent différents styles, tailles et formes, sans être tous dans le même état. Certains sont plutôt dégradés, de simples ruines, tandis que d’autres sont flambants neufs. J’en ai déjà vu un qui semblait venir d’un phare : il était métallique et en spirale, genre à l’ancienne. Les escaliers ne montent pas à l’infini, on peut toujours en voir le bout, mais certains sont plus grands que d’autres. Comme je l’ai déjà dit, imaginez-vous que quelqu’un ait copié-collé ceux de votre maison au beau milieu de nulle-part. Je n’ai pas de photos, je n’y ai pas vraiment pensé depuis la dernière fois, et je n’ai pas non plus envie de risquer de perdre mon travail à cause de ça. Je réessayerai plus tard, mais je ne vous promets rien.
Vous avez été quelques-uns à ne pas bien comprendre l’histoire du gars qui a rencontré l’homme sans visage. Juste pour clarifier, lorsque l’alpiniste a atteint le sommet de son pic, il a aperçu un autre homme qui portait une parka et un pantalon de ski. C’était cet homme qui n’avait pas de visage. Désolé pour la formulation déroutante de ce récit, j’essaierai d’éviter à l’avenir.
Bien, passons aux nouvelles histoires :
• En ce qui concerne les personnes disparues, disons qu’elles représentent la moitié des appels que je reçois. Les autres sont pour des sauvetages : des gens qui se blessent en tombant des falaises, qui se brûlent (vous n’avez aucune idée d’à quel point c’est fréquent, principalement des gosses bourrés), ou qui se font mordre par des animaux ou des insectes. On est une équipe soudée, et les plus expérimentés d’entre nous sont excellents pour trouver les personnes perdues. C’est pourquoi les affaires où on ne trouve aucune trace d’elles sont si frustrantes. Une en particulier était rageante pour nous tous, parce qu’on a trouvé une trace de la personne, mais ça n’a fait qu’apporter plus de questions. Un vieil homme s’était baladé seul sur un chemin bien délimité, mais sa femme a appelé pour dire qu’il n’était pas revenu à l’heure prévue. Apparemment il avait des antécédents de convulsions, elle craignait qu’il n’ait pas pris ses médicaments et qu’il ait fait une crise sur le chemin. Avant que vous ne demandiez, j’ignore pourquoi il a pensé que c’était une bonne idée de partir seul, ni pourquoi elle n’était pas allée avec lui. Je ne demande pas ce genre de chose parce qu’au-delà d’un certain point, ça n’a pas vraiment d’importance. Quelqu’un a disparu, et c’est mon job de le retrouver. On y est allés en formation de recherche standard, et il n’a pas fallu longtemps pour qu’un de nos vétérans comprenne qu’il s’était éloigné du chemin. Nous nous sommes regroupés et avons suivi sa trace, en nous déployant de manière à couvrir le plus de surface possible. Tout d’un coup, un appel sur la radio nous demande de rejoindre la location du vétéran, et nous y allons sur-le-champ, parce que ça signifie généralement que la personne disparue est blessée, et qu’il faut une équipe entière pour l’extraire en sécurité. Nous nous retrouvons, et le vétéran se tient sous un arbre, avec les mains sur ses tempes. Je demande à mon pote ce qui se passe, et il se contente de m’indiquer les branches de l’arbre. Je ne pouvais presque pas en croire mes yeux : il y avait une canne qui se balançait depuis une branche, à dix mètres du sol. La petite sangle sur la poignée avait été enroulée autour de la branche, et ça pendait simplement là. Le type n’aurait jamais pu la lancer si haut, et il n’y avait pas d’autres signes pour indiquer sa présence dans les environs. On a regardé dans l’arbre, mais bien sûr il n’y avait personne. Personne ne comprenait quoi que ce soit. On a continué à le chercher, mais sans jamais le trouver. On a même essayé avec les chiens, mais ils ont perdu sa trace bien avant l’arbre. Finalement, les recherches ont été abandonnées, parce que nous avions d’autres obligations, et au bout d’un moment on ne pouvait plus faire grand-chose. La femme du type nous a appelés chaque jour pendant des mois, pour savoir si on l’avait retrouvé, et ça nous brisait le cœur de l’entendre perdre progressivement espoir. Je ne sais pas trop pourquoi cette affaire en particulier était tellement énervante, c’était sans doute à cause de son caractère si improbable. Ça, et toutes les questions qu’elle soulevait. Comment diable ce type avait-il fini là-haut ? Est-ce que quelqu’un l’avait tué et avait mis sa canne là comme une sorte de trophée farfelu ? Nous avons fait de notre mieux pour le retrouver, mais c’était presque comme si on nous narguait. On reparle encore de cette affaire entre nous de temps en temps.
• Les disparitions d’enfants sont les plus déchirantes. Peu importe les circonstances, ce n’est jamais facile, et on a toujours, toujours peur de ceux qu’on trouve morts. Ce n’est pas commun, mais ça arrive. David Paulides parle beaucoup des enfants que les équipes SAR trouvent à des endroits où ils ne devraient pas être, ou ne pourraient pas être. Honnêtement, j’ai plus entendu ce genre d’histoires que je n’en ai vécu, mais je vais vous en partager une dont j’ai été témoin et qui fait partie de celles auxquelles je repense souvent. Une mère était de sortie avec ses trois enfants pour piqueniquer dans une partie du parc où se trouve un petit lac. Les enfants ont cinq, six et trois ans. Elle les surveille tous de très près, et d’après elle, elle ne les perd jamais de vue. Elle n’a aussi vu aucune autre personne dans la zone, ce qui a son importance. Elle range ses affaires, et ils se mettent en route pour retourner au parking. Alors, ce lac n’est même pas à un kilomètre dans les bois, au bout d’un chemin trèsclairement délimité. C’est presque impossible de se perdre en y allant depuis le parking, à moins de s’éloigner volontairement du chemin comme un idiot. Ses enfants marchent devant elle au moment où elle entend ce qui ressemble à quelqu’un s’approchant derrière elle sur le chemin. Elle se retourne, et pendant les quatre ou cinq secondes où elle le quitte des yeux, son enfant de cinq ans disparait. Elle pense qu’il s’était un peu écarté du sentier pour pisser ou un truc du genre, et elle demande aux deux autres où est-ce qu’il était allé. Les deux lui ont répondu qu’un « grand homme avec un visage effrayant » était sorti du bois à côté d’eux, qu’il avait pris la main de l’enfant, et qu’il l’avait emmené dans les bois. Les deux gosses restant ne paraissaient pas dérangés, en fait elle rapporte plus tard qu’ils avaient l’air d’avoir été drogués. Ils avaient l’air de planer. Du coup bien sûr, elle panique, et commence à désespérément chercher son gosse dans les alentours. Elle crie son nom, et affirme qu’à un moment elle pense qu’elle l’a entendu lui répondre. Mais évidemment elle ne peut pas foncer tête baissée dans la forêt, elle a les deux autres enfants avec elle, donc elle appelle la police et ils nous y envoie sur-le-champ. Nous commençons les recherches, mais en dépit des kilomètres couverts, nous n’avons pas trouvé la moindre trace de l’enfant. Les chiens ne parviennent pas à sentir quoi que ce soit, nous ne trouvons aucun vêtement, ni aucun buisson abîmé, en fait absolument rien qui aurait pu indiquer la présence d’un enfant. Bien sûr on a soupçonné la mère pendant un moment, mais c’est assez clair qu’elle est complètement dévastée par ce qui s’est passé. On a cherché l’enfant pendant des semaines, avec beaucoup de volontaires qui nous aidaient. Mais les recherches finissent par s’essouffler, et on doit passer à autre chose. Les volontaires continuent malgré tout de chercher, et un jour on reçoit un appel sur la radio nous informant qu’un corps a été trouvé et qu’il nécessite une extraction. Nous sommes tous restés incrédules lorsqu’ils nous ont donné les coordonnées. On a pensé qu’il devait s’agir d’un autre enfant. Mais nous nous rendons sur les lieux, environ à un vingtaine de kilomètres de l’endroit où le gosse avait disparu, et force est de constater qu’il s’agit bien du corps de l’enfant que nous avions cherché. Depuis lors je n’ai pas arrêté de me demander comment ce gamin avait pu se retrouver là, sans trouver la réponse. Un volontaire se trouvait simplement dans le coin, parce qu’il se disait qu’il ferait aussi bien de regarder dans les endroits auxquels personne d’autre ne penserait pour avoir une chance de trouver le corps. Il arrive au pied d’un versant rocheux, et à mi-chemin du sommet, il aperçoit quelque chose. Il y regarde de plus près à l’aide de ses jumelles, et sans doute possible, il s’agit du corps d’un petit garçon, fourré dans une petite aspérité rocheuse. Il reconnait la couleur de la chemise de l’enfant, donc il sait immédiatement qu’il s’agit du garçon disparu. Du coup il nous appelle, et nous sommes déployés. Ça nous a pris presque une heure pour redescendre le corps, et aucun d’entre nous n’a pu en croire ses yeux. En plus d’être à plus de vingt kilomètres de son point de disparition, il était parfaitement impossible que l’enfant ait atterri là tout seul. L’ascension est périlleuse, et même pour nous, avec notre équipement, ça n’a pas été facile. Un garçon de cinq ans n’avait aucun moyen d’arriver là-haut, j’en suis certain. Et ce n’est pas tout, le gosse n’a pas une égratignure. Il n’a pas de chaussures, mais ses pieds ne sont ni sales ni abîmés. Donc il n’avait pas été trainé par un animal. Et apparemment, il n'était pas mort depuis bien longtemps. À ce moment, ça faisait un mois qu’il était dans la nature, et il semblait qu’il n’était mort que depuis un jour ou deux. Toute l’histoire était incroyablement étrange, et une des plus déroutantes parmi celles sur lesquelles j’ai travaillé. On a trouvé plus tard que la cause de la mort était l’hypothermie. Il était mort de froid, probablement tard dans la nuit deux jours avant qu’on ne le trouve. Il n’y avait ni suspects, ni réponses. À ce jour, c’est une des choses les plus étranges que j’ai jamais vues.
• Un de mes premiers boulots en tant qu’apprentie a été de participer à une battue pour retrouver un enfant de quatre ans qui avait été séparé de sa mère. C’était une de ces affaires où on savait qu’on allait le retrouver, parce que les chiens avaient flairé sa piste, et il y avait des indices évidents qu’il était dans le coin. On a fini par le trouver au milieu de buissons à baies, à quelques centaines de mètres de l’endroit où il avait été vu pour la dernière fois. Il ne s’était même pas rendu compte qu’il s’était aventuré aussi loin. Un des vétérans l’a ramené, ce qui m’arrangeait parce que je ne suis vraiment pas douée avec les enfants, j’ai du mal à leur parler et à leur tenir compagnie. Sur le chemin du retour, mon instructeur décide de m’emmener faire un détour pour me montrer un des endroits où on trouve le plus souvent les personnes disparues. C’est une petite descente naturelle près d’un chemin très fréquenté, et les gens descendent généralement parce que c’est plus facile. Il nous faut environ une heure pour nous rendre sur place, à quelques kilomètres. Alors qu’on se balade dans l’endroit et qu’elle me montre où elle a déjà trouvé des personnes disparues par le passé, je remarque quelque chose au loin. Alors, l’endroit où nous sommes se trouve à environ une quinzaine de kilomètres de la principale zone de parking, bien qu’il y ait des routes qu’on peut emprunter si l’on ne veut pas marcher aussi loin. Mais nous sommes sur un territoire protégé par l’Etat, ce qui signifie qu’il ne peut en aucun cas y avoir la moindre activité commerciale ou résidentielle. Au mieux vous y verrez une tour de guet, ou un abri de fortune que les sans-abris pensent pouvoir construire dans notre dos. Mais je peux voir d’ici que cette chose, peu importe ce que c’est, possède des bords droits, et s’il y a bien une chose qu’on apprend vite, c’est que la nature ne produit que rarement des lignes droites. Je le remarque à voix haute, mais elle ne dit rien. Elle se contente de me permettre d’aller voir, en m’emboitant le pas. Je m’en approche, et tous les cheveux de ma nuque se hérissent. C’est un escalier. C’est juste un banal escalier, avec une moquette beige, et à peu près dix marches de haut. Mais au lieu d’être dans une maison, où à l’évidence il devrait être, il est dehors au beau milieu des bois. Ses flancs ne sont pas couverts de moquette bien sûr, et je peux voir de quoi il est fait. C’est presque comme un glitch de jeu vidéo, où la maison n’aurait pas réussi à se charger entièrement, et les escaliers seraient la seule chose visible. Je me tiens là, avec l’impression que mon cerveau surchauffe en essayant de trouver une explication logique à ce que j’ai sous les yeux. Mon instructeur me rejoint, et elle reste là, tranquille, observant l’escalier comme si c’était la chose la moins intéressante au monde. Je lui ai demandé ce que ça faisait là, et elle m’a ri au nez. « Il va falloir t’y habituer la bleue. Tu vas en voir un paquet. » Je commence à m’en rapprocher, mais elle m’attrape le bras. Rudement. « Je n’en ferais rien. » dit-elle. Sa voix est décontractée, mais sa poigne est ferme, et je suis simplement plantée là à la regarder. « Tu vas en voir tout le temps, mais ne t’en approche pas. Ne les touche pas, ne les monte pas. Contente-toi de les ignorer. » Je commence à lui poser des questions sur le sujet, mais quelque chose dans son regard me dissuade de poursuivre. On finit par partir, et on n’en a plus reparlé durant mon apprentissage. Elle avait pourtant raison. Je dirais que sur environ 50 appels reçus, je finis par croiser un escalier. Ils sont parfois assez proches du sentier, peut-être à trois ou quatre kilomètres, et parfois ils sont à trente ou quarante, véritablement au milieu de nulle part, et je ne les trouve que durant les plus larges recherches, ou pendant les week-ends consacrés à l’entrainement. Ils sont généralement en bon état, mais parfois ils ont l’air d’être millénaires. Tous de styles et de tailles différents. Le plus imposant que j’ai jamais vu avait l’air d’être tout droit sorti d’un manoir du siècle dernier, et faisait trois mètres de large, avec des marches qui montaient jusqu’à quatre mètres de haut. J’ai essayé d’en parler avec des gens, mais ils se contentent de me donner la même réponse que mon instructeur. « C’est normal. Ne t’en inquiète pas, ce n’est rien de grave, mais ne t’en approche pas, et ne les monte pas. » Quand des apprentis me posent des questions dessus à présent, je leur donne la même réponse. Je ne sais pas vraiment quoi leur dire d'autre. J’espère juste qu’un jour j’obtiendrai une meilleure réponse, mais ce jour n’est pas encore arrivé.
• Celle-ci est plus triste que flippante. Un jeune avait disparu à la fin de l’hiver, l’époque où personne ne devrait s’aventurer très loin sur les chemins. On en ferme beaucoup, mais certains demeurent ouverts toute l’année, à moins qu’il n’y ait trois tonnes de neige. On a organisé une opération de sauvetage, mais il y avait plus d’un mètre de neige au sol (il y en avait eu particulièrement beaucoup cette année-là), et on savait qu’on avait peu de chances de le retrouver avant le printemps, avec le dégel. Et bien sûr, à la venue du premier dégel important, un randonneur nous a signalé un corps, un peu à l’écart du chemin principal. On l’a trouvé au pied d’un arbre, dans une flaque de neige fondue. J’ai tout de suite su ce qui s’était passé, et ça me terrorisait. Si vous faites du ski ou du snow, ou que vous êtes habitué à la montagne, vous avez sans doute également deviné. Lorsque la neige tombe, elle ne s’amasse pas avec autant de densité sous les branches des arbres, en particulier sous les sapins avec leur forme de parasol serré. Du coup ça donne un espace autour du tronc de l’arbre rempli d’un mélange de neige poudreuse, d’air, et de branches. On les appelle des « tree wells », et on ne les remarque pas forcément si on ne sait pas qu’ils sont là. On met des panneaux au centre d’accueil, des gros, pour prévenir les gens de leur dangerosité, mais à chaque fois qu’on a beaucoup de neige, il y a au moins une personne qui ne les lit pas, ou qui ne prend pas l’avertissement au sérieux, et on s’en rend compte au printemps. Le plus probable à mon avis est que ce jeune homme faisait de la randonnée et était fatigué, ou avait eu une crampe à force de marcher dans la neige profonde. Il est allé s’asseoir au pied de l’arbre, ignorant qu’il y avait un « tree well », et il est tombé dedans. Il est resté coincé la tête à l’envers, et la neige s’est effondrée autour de lui. Il a suffoqué, ne pouvant pas se libérer. Cela s’appelle une SIS (Snow Immersion Suffocation, Suffocation par immersion sous la neige, ndt), et ça n’arrive que dans des neiges vraiment profondes. Mais si vous vous retrouvez coincés dans une position bizarre, comme ce gars, même deux mètres de neige peuvent être mortels. Ce qui m’effraie le plus est d’imaginer comment il a dû se débattre. A l’envers, dans le froid mordant, il n’est pas mort rapidement. La neige a dû former un tas lourd et dense au-dessus de lui, et ça aurait été littéralement impossible de s’en sortir. C’est quand il a commencé à avoir du mal à respirer qu’il a dû comprendre ce qui se passait. Je n’ose pas imaginer à quoi il pensait dans ses derniers instants.
• Beaucoup parmi mes amis plus urbanisés me demandent si j’ai déjà vu le Goatman en travaillant dehors. Malheureusement, ou heureusement je suppose, il ne m’est jamais rien arrivé de tel. J’imagine que ce qui s’en rapproche le plus était toute cette histoire d’ « homme aux yeux noirs », mais je n’ai rien vu. En revanche, il y a eu un appel où j’ai vécu quelque chose d’un peu similaire, mais je ne suis pas certaine de vouloir le relier au Goatman. On nous avait signalé qu’une vieille femme s’était évanouie sur un des chemins, et avait besoin d’aide pour redescendre à la zone principale. Nous nous rendons à sa position, et nous trouvons son mari complètement paniqué. Il court, ou plutôt trottine vers nous, et nous explique qu’il était un peu à l’écart du sentier en train de regarder quelque chose, quand sa femme s’est mise à crier derrière lui. Il court la rejoindre, et la trouve évanouie par terre. On la met sur un brancard, et alors qu’on la redescend au centre d’accueil, elle revient à elle et se remet à crier. Je la calme, et lui demande ce qui s’est passé. Je ne me souviens pas de ce qu’elle a dit au mot près, mais en gros, il s’est passé la chose suivante : elle attendait son mari quand elle a commencé à entendre un son très étrange. Ça ressemblait à celui d’un chat, d’après elle, mais ça paraissait lointain, et elle ne comprenait pas trop pourquoi. Elle s’est un peu avancée pour mieux l’entendre, et ça avait l’air de se rapprocher. Et plus il se rapprochait, plus elle était mal à l’aise, jusqu’à ce qu’elle se rende compte de ce qui n’allait pas. Je me souviens bien de ce qui suit, parce que c’est tellement bizarre que je ne pense pas pouvoir l’oublier même si j’essayais. « Ce n’était pas un chat. C’était un homme, qui n’arrêtait pas de répéter « miaou ». Juste « miaou, miaou, miaou ». Mais ce n’était pas un homme, ça n’aurait pas pu en être un, parce que je n’ai jamais entendu un homme faire vibrer sa voix comme ça. J’ai cru que mon appareil auditif fonctionnait mal, mais ce n’était pas le cas, je l’ai ajusté, et le bruit était toujours bourdonnant. C’était horrible. Il se rapprochait, mais je ne pouvais pas le voir. Et plus il se rapprochait, plus j’étais effrayée, et la dernière chose dont je me souviens est une forme qui sortait des arbres. Je suppose que c’est là que je me suis évanouie. » Bon, évidemment je suis un peu perplexe quand aux raisons qui pousseraient quelqu’un à aller psalmodier dans les bois « miaou, miaou » aux gens. Donc une fois redescendu de la montagne, je demande à mon supérieur la permission d’aller fouiller la zone pour voir si je trouve quelque chose. Il me l’accorde, j’attrape une radio et je retourne là où elle s’est évanouie. Je ne vois personne, donc je poursuis sur plus d’un kilomètre, et quand je reviens je m’écarte du sentier pour essayer de trouver d’où elle l’a vu sortir. C’était presque le crépuscule à ce moment, et je n’ai aucune envie d’être seule dehors la nuit, donc je décide d’arrêter en me promettant de revenir inspecter les lieux le lendemain. Mais alors que je rentre, je commence à entendre quelque chose au loin. Je m’arrête, et je demande à quiconque qui se trouve là de s’identifier. Le bruit ne s’est pas amplifié, ni ne s’est rapproché, mais ça ressemblait tout à fait à un homme qui disait « miaou, miaou », d’un ton étrangement monotone. Aussi comique que ça puisse être, on aurait presque dit ce type de South Park avec l’electrolarynx, Ned. Je m’éloigne du chemin dans la direction d’où ça semble provenir, mais ça ne semble pas se rapprocher. C’est presque comme si ça venait de toutes les directions. Finalement, ça disparait progressivement, et j’ai fini par retourner vers le centre d’accueil. Je n’ai pas reçu d’autre signalement de ce genre, et bien que je sois retournée dans la zone, je n’ai jamais entendu ce bruit précis à nouveau. J’imagine que ça aurait pu être un petit con qui embêtait les gens, mais je dois bien admettre que c’était bizarre.
Bon, c’est un peu devenu un gros pavé, et je vous prie de m’en excuser. Je voulais en venir aux histoires que mon ami m’a racontées, et il en a de bonnes, donc je les posterai demain soir. J’en ai également quelques-unes de mon cru que vous pourriez aimer. Je suis désolée de vous tenir en haleine à nouveau, j’espère que vous me pardonnerez avec ces histoires, et qu’elles vous aideront à patienter pendant les prochaines 24 heures, jusqu’à ce que je puisse poster à nouveau !
EDIT : Puisqu’il semble que vous souhaiteriez tous en entendre davantage, demain j’écrirais autant d’histoires que je peux et je ferai un énorme post. J’inclurai les histoires de mon ami, et je vais voir si je peux mettre la main sur des gens qui pourraient avoir des choses croustillantes à raconter. Je n’étais juste pas certaine de comment vous réagiriez face à un gros pavé, mais puisque ça ne vous pose pas de problème, je posterai plein d’histoires.
Vous avez été extrêmement nombreux à remarquer la ressemblance entre certaines de mes histoires et celles de David Paulides. Je vous assure que je n’essaie aucunement de le plagier, j’ai le plus grand respect pour lui. En fait c’est son travail qui m’a inspirée à écrire ceci, parce que je peux vérifier beaucoup des choses dont il parle. On a effectivement beaucoup de ces étranges affaires de disparition, et la plupart du temps elles ne sont pas résolues, ou alors on retrouve les personnes dans des endroits où elles n’auraient pas dû être. Personnellement, je n’ai pas bossé sur tant d’affaires de ce genre, mais je peux en partager certaines auxquelles j’ai assisté, et une histoire que m’a racontée mon ami s’y rapportant.
Il y a eu beaucoup de retours sur les escaliers, donc je vais brièvement revenir dessus, et j’ajouterai également une histoire. Ils possèdent différents styles, tailles et formes, sans être tous dans le même état. Certains sont plutôt dégradés, de simples ruines, tandis que d’autres sont flambants neufs. J’en ai déjà vu un qui semblait venir d’un phare : il était métallique et en spirale, genre à l’ancienne. Les escaliers ne montent pas à l’infini, on peut toujours en voir le bout, mais certains sont plus grands que d’autres. Comme je l’ai déjà dit, imaginez-vous que quelqu’un ait copié-collé ceux de votre maison au beau milieu de nulle-part. Je n’ai pas de photos, je n’y ai pas vraiment pensé depuis la dernière fois, et je n’ai pas non plus envie de risquer de perdre mon travail à cause de ça. Je réessayerai plus tard, mais je ne vous promets rien.
Vous avez été quelques-uns à ne pas bien comprendre l’histoire du gars qui a rencontré l’homme sans visage. Juste pour clarifier, lorsque l’alpiniste a atteint le sommet de son pic, il a aperçu un autre homme qui portait une parka et un pantalon de ski. C’était cet homme qui n’avait pas de visage. Désolé pour la formulation déroutante de ce récit, j’essaierai d’éviter à l’avenir.
Bien, passons aux nouvelles histoires :
• En ce qui concerne les personnes disparues, disons qu’elles représentent la moitié des appels que je reçois. Les autres sont pour des sauvetages : des gens qui se blessent en tombant des falaises, qui se brûlent (vous n’avez aucune idée d’à quel point c’est fréquent, principalement des gosses bourrés), ou qui se font mordre par des animaux ou des insectes. On est une équipe soudée, et les plus expérimentés d’entre nous sont excellents pour trouver les personnes perdues. C’est pourquoi les affaires où on ne trouve aucune trace d’elles sont si frustrantes. Une en particulier était rageante pour nous tous, parce qu’on a trouvé une trace de la personne, mais ça n’a fait qu’apporter plus de questions. Un vieil homme s’était baladé seul sur un chemin bien délimité, mais sa femme a appelé pour dire qu’il n’était pas revenu à l’heure prévue. Apparemment il avait des antécédents de convulsions, elle craignait qu’il n’ait pas pris ses médicaments et qu’il ait fait une crise sur le chemin. Avant que vous ne demandiez, j’ignore pourquoi il a pensé que c’était une bonne idée de partir seul, ni pourquoi elle n’était pas allée avec lui. Je ne demande pas ce genre de chose parce qu’au-delà d’un certain point, ça n’a pas vraiment d’importance. Quelqu’un a disparu, et c’est mon job de le retrouver. On y est allés en formation de recherche standard, et il n’a pas fallu longtemps pour qu’un de nos vétérans comprenne qu’il s’était éloigné du chemin. Nous nous sommes regroupés et avons suivi sa trace, en nous déployant de manière à couvrir le plus de surface possible. Tout d’un coup, un appel sur la radio nous demande de rejoindre la location du vétéran, et nous y allons sur-le-champ, parce que ça signifie généralement que la personne disparue est blessée, et qu’il faut une équipe entière pour l’extraire en sécurité. Nous nous retrouvons, et le vétéran se tient sous un arbre, avec les mains sur ses tempes. Je demande à mon pote ce qui se passe, et il se contente de m’indiquer les branches de l’arbre. Je ne pouvais presque pas en croire mes yeux : il y avait une canne qui se balançait depuis une branche, à dix mètres du sol. La petite sangle sur la poignée avait été enroulée autour de la branche, et ça pendait simplement là. Le type n’aurait jamais pu la lancer si haut, et il n’y avait pas d’autres signes pour indiquer sa présence dans les environs. On a regardé dans l’arbre, mais bien sûr il n’y avait personne. Personne ne comprenait quoi que ce soit. On a continué à le chercher, mais sans jamais le trouver. On a même essayé avec les chiens, mais ils ont perdu sa trace bien avant l’arbre. Finalement, les recherches ont été abandonnées, parce que nous avions d’autres obligations, et au bout d’un moment on ne pouvait plus faire grand-chose. La femme du type nous a appelés chaque jour pendant des mois, pour savoir si on l’avait retrouvé, et ça nous brisait le cœur de l’entendre perdre progressivement espoir. Je ne sais pas trop pourquoi cette affaire en particulier était tellement énervante, c’était sans doute à cause de son caractère si improbable. Ça, et toutes les questions qu’elle soulevait. Comment diable ce type avait-il fini là-haut ? Est-ce que quelqu’un l’avait tué et avait mis sa canne là comme une sorte de trophée farfelu ? Nous avons fait de notre mieux pour le retrouver, mais c’était presque comme si on nous narguait. On reparle encore de cette affaire entre nous de temps en temps.
• Les disparitions d’enfants sont les plus déchirantes. Peu importe les circonstances, ce n’est jamais facile, et on a toujours, toujours peur de ceux qu’on trouve morts. Ce n’est pas commun, mais ça arrive. David Paulides parle beaucoup des enfants que les équipes SAR trouvent à des endroits où ils ne devraient pas être, ou ne pourraient pas être. Honnêtement, j’ai plus entendu ce genre d’histoires que je n’en ai vécu, mais je vais vous en partager une dont j’ai été témoin et qui fait partie de celles auxquelles je repense souvent. Une mère était de sortie avec ses trois enfants pour piqueniquer dans une partie du parc où se trouve un petit lac. Les enfants ont cinq, six et trois ans. Elle les surveille tous de très près, et d’après elle, elle ne les perd jamais de vue. Elle n’a aussi vu aucune autre personne dans la zone, ce qui a son importance. Elle range ses affaires, et ils se mettent en route pour retourner au parking. Alors, ce lac n’est même pas à un kilomètre dans les bois, au bout d’un chemin trèsclairement délimité. C’est presque impossible de se perdre en y allant depuis le parking, à moins de s’éloigner volontairement du chemin comme un idiot. Ses enfants marchent devant elle au moment où elle entend ce qui ressemble à quelqu’un s’approchant derrière elle sur le chemin. Elle se retourne, et pendant les quatre ou cinq secondes où elle le quitte des yeux, son enfant de cinq ans disparait. Elle pense qu’il s’était un peu écarté du sentier pour pisser ou un truc du genre, et elle demande aux deux autres où est-ce qu’il était allé. Les deux lui ont répondu qu’un « grand homme avec un visage effrayant » était sorti du bois à côté d’eux, qu’il avait pris la main de l’enfant, et qu’il l’avait emmené dans les bois. Les deux gosses restant ne paraissaient pas dérangés, en fait elle rapporte plus tard qu’ils avaient l’air d’avoir été drogués. Ils avaient l’air de planer. Du coup bien sûr, elle panique, et commence à désespérément chercher son gosse dans les alentours. Elle crie son nom, et affirme qu’à un moment elle pense qu’elle l’a entendu lui répondre. Mais évidemment elle ne peut pas foncer tête baissée dans la forêt, elle a les deux autres enfants avec elle, donc elle appelle la police et ils nous y envoie sur-le-champ. Nous commençons les recherches, mais en dépit des kilomètres couverts, nous n’avons pas trouvé la moindre trace de l’enfant. Les chiens ne parviennent pas à sentir quoi que ce soit, nous ne trouvons aucun vêtement, ni aucun buisson abîmé, en fait absolument rien qui aurait pu indiquer la présence d’un enfant. Bien sûr on a soupçonné la mère pendant un moment, mais c’est assez clair qu’elle est complètement dévastée par ce qui s’est passé. On a cherché l’enfant pendant des semaines, avec beaucoup de volontaires qui nous aidaient. Mais les recherches finissent par s’essouffler, et on doit passer à autre chose. Les volontaires continuent malgré tout de chercher, et un jour on reçoit un appel sur la radio nous informant qu’un corps a été trouvé et qu’il nécessite une extraction. Nous sommes tous restés incrédules lorsqu’ils nous ont donné les coordonnées. On a pensé qu’il devait s’agir d’un autre enfant. Mais nous nous rendons sur les lieux, environ à un vingtaine de kilomètres de l’endroit où le gosse avait disparu, et force est de constater qu’il s’agit bien du corps de l’enfant que nous avions cherché. Depuis lors je n’ai pas arrêté de me demander comment ce gamin avait pu se retrouver là, sans trouver la réponse. Un volontaire se trouvait simplement dans le coin, parce qu’il se disait qu’il ferait aussi bien de regarder dans les endroits auxquels personne d’autre ne penserait pour avoir une chance de trouver le corps. Il arrive au pied d’un versant rocheux, et à mi-chemin du sommet, il aperçoit quelque chose. Il y regarde de plus près à l’aide de ses jumelles, et sans doute possible, il s’agit du corps d’un petit garçon, fourré dans une petite aspérité rocheuse. Il reconnait la couleur de la chemise de l’enfant, donc il sait immédiatement qu’il s’agit du garçon disparu. Du coup il nous appelle, et nous sommes déployés. Ça nous a pris presque une heure pour redescendre le corps, et aucun d’entre nous n’a pu en croire ses yeux. En plus d’être à plus de vingt kilomètres de son point de disparition, il était parfaitement impossible que l’enfant ait atterri là tout seul. L’ascension est périlleuse, et même pour nous, avec notre équipement, ça n’a pas été facile. Un garçon de cinq ans n’avait aucun moyen d’arriver là-haut, j’en suis certain. Et ce n’est pas tout, le gosse n’a pas une égratignure. Il n’a pas de chaussures, mais ses pieds ne sont ni sales ni abîmés. Donc il n’avait pas été trainé par un animal. Et apparemment, il n'était pas mort depuis bien longtemps. À ce moment, ça faisait un mois qu’il était dans la nature, et il semblait qu’il n’était mort que depuis un jour ou deux. Toute l’histoire était incroyablement étrange, et une des plus déroutantes parmi celles sur lesquelles j’ai travaillé. On a trouvé plus tard que la cause de la mort était l’hypothermie. Il était mort de froid, probablement tard dans la nuit deux jours avant qu’on ne le trouve. Il n’y avait ni suspects, ni réponses. À ce jour, c’est une des choses les plus étranges que j’ai jamais vues.
• Un de mes premiers boulots en tant qu’apprentie a été de participer à une battue pour retrouver un enfant de quatre ans qui avait été séparé de sa mère. C’était une de ces affaires où on savait qu’on allait le retrouver, parce que les chiens avaient flairé sa piste, et il y avait des indices évidents qu’il était dans le coin. On a fini par le trouver au milieu de buissons à baies, à quelques centaines de mètres de l’endroit où il avait été vu pour la dernière fois. Il ne s’était même pas rendu compte qu’il s’était aventuré aussi loin. Un des vétérans l’a ramené, ce qui m’arrangeait parce que je ne suis vraiment pas douée avec les enfants, j’ai du mal à leur parler et à leur tenir compagnie. Sur le chemin du retour, mon instructeur décide de m’emmener faire un détour pour me montrer un des endroits où on trouve le plus souvent les personnes disparues. C’est une petite descente naturelle près d’un chemin très fréquenté, et les gens descendent généralement parce que c’est plus facile. Il nous faut environ une heure pour nous rendre sur place, à quelques kilomètres. Alors qu’on se balade dans l’endroit et qu’elle me montre où elle a déjà trouvé des personnes disparues par le passé, je remarque quelque chose au loin. Alors, l’endroit où nous sommes se trouve à environ une quinzaine de kilomètres de la principale zone de parking, bien qu’il y ait des routes qu’on peut emprunter si l’on ne veut pas marcher aussi loin. Mais nous sommes sur un territoire protégé par l’Etat, ce qui signifie qu’il ne peut en aucun cas y avoir la moindre activité commerciale ou résidentielle. Au mieux vous y verrez une tour de guet, ou un abri de fortune que les sans-abris pensent pouvoir construire dans notre dos. Mais je peux voir d’ici que cette chose, peu importe ce que c’est, possède des bords droits, et s’il y a bien une chose qu’on apprend vite, c’est que la nature ne produit que rarement des lignes droites. Je le remarque à voix haute, mais elle ne dit rien. Elle se contente de me permettre d’aller voir, en m’emboitant le pas. Je m’en approche, et tous les cheveux de ma nuque se hérissent. C’est un escalier. C’est juste un banal escalier, avec une moquette beige, et à peu près dix marches de haut. Mais au lieu d’être dans une maison, où à l’évidence il devrait être, il est dehors au beau milieu des bois. Ses flancs ne sont pas couverts de moquette bien sûr, et je peux voir de quoi il est fait. C’est presque comme un glitch de jeu vidéo, où la maison n’aurait pas réussi à se charger entièrement, et les escaliers seraient la seule chose visible. Je me tiens là, avec l’impression que mon cerveau surchauffe en essayant de trouver une explication logique à ce que j’ai sous les yeux. Mon instructeur me rejoint, et elle reste là, tranquille, observant l’escalier comme si c’était la chose la moins intéressante au monde. Je lui ai demandé ce que ça faisait là, et elle m’a ri au nez. « Il va falloir t’y habituer la bleue. Tu vas en voir un paquet. » Je commence à m’en rapprocher, mais elle m’attrape le bras. Rudement. « Je n’en ferais rien. » dit-elle. Sa voix est décontractée, mais sa poigne est ferme, et je suis simplement plantée là à la regarder. « Tu vas en voir tout le temps, mais ne t’en approche pas. Ne les touche pas, ne les monte pas. Contente-toi de les ignorer. » Je commence à lui poser des questions sur le sujet, mais quelque chose dans son regard me dissuade de poursuivre. On finit par partir, et on n’en a plus reparlé durant mon apprentissage. Elle avait pourtant raison. Je dirais que sur environ 50 appels reçus, je finis par croiser un escalier. Ils sont parfois assez proches du sentier, peut-être à trois ou quatre kilomètres, et parfois ils sont à trente ou quarante, véritablement au milieu de nulle part, et je ne les trouve que durant les plus larges recherches, ou pendant les week-ends consacrés à l’entrainement. Ils sont généralement en bon état, mais parfois ils ont l’air d’être millénaires. Tous de styles et de tailles différents. Le plus imposant que j’ai jamais vu avait l’air d’être tout droit sorti d’un manoir du siècle dernier, et faisait trois mètres de large, avec des marches qui montaient jusqu’à quatre mètres de haut. J’ai essayé d’en parler avec des gens, mais ils se contentent de me donner la même réponse que mon instructeur. « C’est normal. Ne t’en inquiète pas, ce n’est rien de grave, mais ne t’en approche pas, et ne les monte pas. » Quand des apprentis me posent des questions dessus à présent, je leur donne la même réponse. Je ne sais pas vraiment quoi leur dire d'autre. J’espère juste qu’un jour j’obtiendrai une meilleure réponse, mais ce jour n’est pas encore arrivé.
• Celle-ci est plus triste que flippante. Un jeune avait disparu à la fin de l’hiver, l’époque où personne ne devrait s’aventurer très loin sur les chemins. On en ferme beaucoup, mais certains demeurent ouverts toute l’année, à moins qu’il n’y ait trois tonnes de neige. On a organisé une opération de sauvetage, mais il y avait plus d’un mètre de neige au sol (il y en avait eu particulièrement beaucoup cette année-là), et on savait qu’on avait peu de chances de le retrouver avant le printemps, avec le dégel. Et bien sûr, à la venue du premier dégel important, un randonneur nous a signalé un corps, un peu à l’écart du chemin principal. On l’a trouvé au pied d’un arbre, dans une flaque de neige fondue. J’ai tout de suite su ce qui s’était passé, et ça me terrorisait. Si vous faites du ski ou du snow, ou que vous êtes habitué à la montagne, vous avez sans doute également deviné. Lorsque la neige tombe, elle ne s’amasse pas avec autant de densité sous les branches des arbres, en particulier sous les sapins avec leur forme de parasol serré. Du coup ça donne un espace autour du tronc de l’arbre rempli d’un mélange de neige poudreuse, d’air, et de branches. On les appelle des « tree wells », et on ne les remarque pas forcément si on ne sait pas qu’ils sont là. On met des panneaux au centre d’accueil, des gros, pour prévenir les gens de leur dangerosité, mais à chaque fois qu’on a beaucoup de neige, il y a au moins une personne qui ne les lit pas, ou qui ne prend pas l’avertissement au sérieux, et on s’en rend compte au printemps. Le plus probable à mon avis est que ce jeune homme faisait de la randonnée et était fatigué, ou avait eu une crampe à force de marcher dans la neige profonde. Il est allé s’asseoir au pied de l’arbre, ignorant qu’il y avait un « tree well », et il est tombé dedans. Il est resté coincé la tête à l’envers, et la neige s’est effondrée autour de lui. Il a suffoqué, ne pouvant pas se libérer. Cela s’appelle une SIS (Snow Immersion Suffocation, Suffocation par immersion sous la neige, ndt), et ça n’arrive que dans des neiges vraiment profondes. Mais si vous vous retrouvez coincés dans une position bizarre, comme ce gars, même deux mètres de neige peuvent être mortels. Ce qui m’effraie le plus est d’imaginer comment il a dû se débattre. A l’envers, dans le froid mordant, il n’est pas mort rapidement. La neige a dû former un tas lourd et dense au-dessus de lui, et ça aurait été littéralement impossible de s’en sortir. C’est quand il a commencé à avoir du mal à respirer qu’il a dû comprendre ce qui se passait. Je n’ose pas imaginer à quoi il pensait dans ses derniers instants.
• Beaucoup parmi mes amis plus urbanisés me demandent si j’ai déjà vu le Goatman en travaillant dehors. Malheureusement, ou heureusement je suppose, il ne m’est jamais rien arrivé de tel. J’imagine que ce qui s’en rapproche le plus était toute cette histoire d’ « homme aux yeux noirs », mais je n’ai rien vu. En revanche, il y a eu un appel où j’ai vécu quelque chose d’un peu similaire, mais je ne suis pas certaine de vouloir le relier au Goatman. On nous avait signalé qu’une vieille femme s’était évanouie sur un des chemins, et avait besoin d’aide pour redescendre à la zone principale. Nous nous rendons à sa position, et nous trouvons son mari complètement paniqué. Il court, ou plutôt trottine vers nous, et nous explique qu’il était un peu à l’écart du sentier en train de regarder quelque chose, quand sa femme s’est mise à crier derrière lui. Il court la rejoindre, et la trouve évanouie par terre. On la met sur un brancard, et alors qu’on la redescend au centre d’accueil, elle revient à elle et se remet à crier. Je la calme, et lui demande ce qui s’est passé. Je ne me souviens pas de ce qu’elle a dit au mot près, mais en gros, il s’est passé la chose suivante : elle attendait son mari quand elle a commencé à entendre un son très étrange. Ça ressemblait à celui d’un chat, d’après elle, mais ça paraissait lointain, et elle ne comprenait pas trop pourquoi. Elle s’est un peu avancée pour mieux l’entendre, et ça avait l’air de se rapprocher. Et plus il se rapprochait, plus elle était mal à l’aise, jusqu’à ce qu’elle se rende compte de ce qui n’allait pas. Je me souviens bien de ce qui suit, parce que c’est tellement bizarre que je ne pense pas pouvoir l’oublier même si j’essayais. « Ce n’était pas un chat. C’était un homme, qui n’arrêtait pas de répéter « miaou ». Juste « miaou, miaou, miaou ». Mais ce n’était pas un homme, ça n’aurait pas pu en être un, parce que je n’ai jamais entendu un homme faire vibrer sa voix comme ça. J’ai cru que mon appareil auditif fonctionnait mal, mais ce n’était pas le cas, je l’ai ajusté, et le bruit était toujours bourdonnant. C’était horrible. Il se rapprochait, mais je ne pouvais pas le voir. Et plus il se rapprochait, plus j’étais effrayée, et la dernière chose dont je me souviens est une forme qui sortait des arbres. Je suppose que c’est là que je me suis évanouie. » Bon, évidemment je suis un peu perplexe quand aux raisons qui pousseraient quelqu’un à aller psalmodier dans les bois « miaou, miaou » aux gens. Donc une fois redescendu de la montagne, je demande à mon supérieur la permission d’aller fouiller la zone pour voir si je trouve quelque chose. Il me l’accorde, j’attrape une radio et je retourne là où elle s’est évanouie. Je ne vois personne, donc je poursuis sur plus d’un kilomètre, et quand je reviens je m’écarte du sentier pour essayer de trouver d’où elle l’a vu sortir. C’était presque le crépuscule à ce moment, et je n’ai aucune envie d’être seule dehors la nuit, donc je décide d’arrêter en me promettant de revenir inspecter les lieux le lendemain. Mais alors que je rentre, je commence à entendre quelque chose au loin. Je m’arrête, et je demande à quiconque qui se trouve là de s’identifier. Le bruit ne s’est pas amplifié, ni ne s’est rapproché, mais ça ressemblait tout à fait à un homme qui disait « miaou, miaou », d’un ton étrangement monotone. Aussi comique que ça puisse être, on aurait presque dit ce type de South Park avec l’electrolarynx, Ned. Je m’éloigne du chemin dans la direction d’où ça semble provenir, mais ça ne semble pas se rapprocher. C’est presque comme si ça venait de toutes les directions. Finalement, ça disparait progressivement, et j’ai fini par retourner vers le centre d’accueil. Je n’ai pas reçu d’autre signalement de ce genre, et bien que je sois retournée dans la zone, je n’ai jamais entendu ce bruit précis à nouveau. J’imagine que ça aurait pu être un petit con qui embêtait les gens, mais je dois bien admettre que c’était bizarre.
Bon, c’est un peu devenu un gros pavé, et je vous prie de m’en excuser. Je voulais en venir aux histoires que mon ami m’a racontées, et il en a de bonnes, donc je les posterai demain soir. J’en ai également quelques-unes de mon cru que vous pourriez aimer. Je suis désolée de vous tenir en haleine à nouveau, j’espère que vous me pardonnerez avec ces histoires, et qu’elles vous aideront à patienter pendant les prochaines 24 heures, jusqu’à ce que je puisse poster à nouveau !
EDIT : Puisqu’il semble que vous souhaiteriez tous en entendre davantage, demain j’écrirais autant d’histoires que je peux et je ferai un énorme post. J’inclurai les histoires de mon ami, et je vais voir si je peux mettre la main sur des gens qui pourraient avoir des choses croustillantes à raconter. Je n’étais juste pas certaine de comment vous réagiriez face à un gros pavé, mais puisque ça ne vous pose pas de problème, je posterai plein d’histoires.
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